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III.

Le lendemain de ce jour de fête où Paris avait célébré avec un enthousiasme quelque peu puéril la proclamation de la république, comme si ce nom magique devait faire tomber les armes des mains de l’ennemi et arrêter les événemens, ce lendemain de fête, succédant aux jours les plus tristes de notre histoire militaire, aurait dû être chargé des plus graves soucis pour les hommes politiques qui, eux aussi à leur tour, avaient pris d’un cœur léger de si terribles responsabilités. Il ne fallait pas seulement aviser à l’immensité du péril par des mesures administratives et militaires à la hauteur des événemens ; il fallait surtout tâcher de faire comprendre la gravité tragique de la situation à une partie de la population affolée et enivrée qui semblait ne pas s’en douter. Il fallait faire un appel aux passions vraiment nobles du peuple, au lieu de le tromper par ses propres vices, sa jactance et sa crédulité, en exaltant un héroïsme dont il n’avait encore donné aucune preuve et en caressant cette fièvre révolutionnaire dont il est si dangereux d’entretenir les ardeurs malsaines. Tandis que les Prussiens traversaient en masses sombres les plaines dégarnies de la Champagne, ce jour-là qui suivit la proclamation de la république et les jours suivans, à quoi furent-ils consacrés ? À la destruction des insignes de la dynastie déchue, à la liquidation des plus misérables rancunes, au licenciement des sergens de ville. À quoi encore ? À la curée des places, à la nomination des maires provisoires. L’étrange personnel que la république tenait en réserve, et cela dans un moment de désorganisation universelle, un moment unique dans l’histoire ! En même temps débordaient dans les colonnes du Journal officiel de la république et sur les murailles de Paris les arrêtés enfantins ou séniles (je ne sais trop) qui débaptisaient les rues, et décidaient des inscriptions démocratiques à graver sur les monumens publics. C’est le premier soin de toute révolution triomphante à Paris de vouloir recommencer l’histoire de France en inscrivant au coin des places et des rues les fragiles annales de son triomphe d’un jour. Ce fut d’ailleurs le seul talent que montra l’édilité parisienne. Prodigieusement incapable en tout, elle excellait en ce genre d’administration. Au lieu d’activer l’approvisionnement de Paris, de pourvoir à l’aménagement de ses ressources et même au rationnement des habitans en prévision d’un long siège, au lieu de travailler efficacement et sans phrases aux besoins infinis de l’assistance publique et de se dévouer à une tâche utile dont le détail eût absorbé de plus grandes intelligences, on rédigeait des bulletins où l’on félicitait Paris de son grand cœur,