Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plusieurs députés de la gauche, tout le centre gauche, bien d’autres qui ne se sont pas associés à ce coup de force, n’étaient-ils pas dans le même cas ? n’étaient-ils pas arrivés à la chambre dans les mêmes conditions d’indépendance et de dignité ? comment osait-on, par un appel direct à l’émeute, les jeter tous violemment et pêle-mêle hors de la vie politique, au lieu de les associer à l’inauguration d’un pouvoir nouveau qui eût été l’expression véritable des besoins du pays ? D’ailleurs il est bien dangereux d’entrer dans la voie des exceptions. Chaque révolution nouvelle plaidera la sienne. Hélas ! les prétextes ne manquent jamais pour jeter une assemblée à la porte ou par la fenêtre. Disons-le avec tristesse : ces défenestrations de Paris ou de Saint-Cloud ont toujours chance d’être populaires. Le 18 brumaire invoquait la nécessité de rétablir l’ordre ; le 24 février, la réforme électorale ; le 15 mai, la nécessité d’arrêter la réaction ; le 2 décembre, l’injure faite au peuple par la loi du 31 mai. Le 4 septembre arguait, pour excuser la violence faite à l’assemblée, du système des candidatures officielles, qui avait faussé son origine, et de sa complicité dans la déclaration d’une guerre déplorable ; mais en voici une, la dernière, élue en pleine liberté, dans des circonstances extrêmes de salut public qui lui confèrent, à ce qu’il semble, une absolue et indiscutable souveraineté. Qui oserait élever contre elle un doute, une objection, une prétention ? Détrompez-vous. Elle est à peine réunie, que déjà (dès le 19 février) M. Ledru-Rollin adresse au président sa démission motivée sur je ne sais combien de cas d’indignité soulevés contre elle. L’émeute du 18 mars, réalisant le testament politique de M. Ledru-Rollin, plaidera contre l’assemblée de Versailles le grief de réaction et de complot monarchique. On n’entend pas assimiler complètement tous ces faits ; on les rapproche, et ces rapprochemens ne seront pas sans signification ; une triste moralité s’en dégage.

Quelque juste réaction de colère qu’aient encourue le régime qui nous avait lancés de gaîté de cœur dans de pareilles catastrophes et la majorité de l’assemblée, qui, responsable de la fortune de la France, l’avait jetée aux abîmes, je maintiens que le 4 septembre il y avait d’autres voies à suivre et d’autres exemples a donner au peuple. Il ne s’agissait pas de sauver l’empire. L’empire était né d’un coup de main du pouvoir ; le vice de son origine le condamnait à périr par un coup de main du peuple. En outre il était condamné irrémissiblement par les désastres sans nom qu’il n’avait su ni empêcher, ni prévoir. L’empereur, en réclamant constamment sa responsabilité personnelle devant le pays en tête de toutes ses constitutions, avait porté lui-même d’avance le verdict que les événemens venaient de prononcer. Il ne s’agissait pas davantage de prolonger les jours de cette assemblée agonisante. Simultanément et fatale-