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France n’est-elle pas là, sauf les fanatiques et les intrigans ? Or la vraie France, le pays dans ses élémens sérieux, n’avait aucune répugnance pour cette forme d’institution, pourvu qu’elle fût hospitalière et protectrice pour tous. La république était pour tous les partis le plus honorable asile, à la condition de n’être pas elle-même un parti.

Outre les raisons de circonstance qui, dans cette crise suprême, militaient en faveur de la république, il y a tout un ordre de considérations liées au mouvement général des esprits qui recommande cette forme de gouvernement comme plus capable qu’aucune autre de s’ajuster aux conditions de la société nouvelle, telle que l’a faite la démocratie. Parmi ces conditions, j’en distingue deux spécialement : le suffrage universel et la liberté presque absolue de la presse, qui sont aussi difficiles à modifier qu’à supporter pour une monarchie. Quelque jugement que l’on porte d’ailleurs sur ces deux formes de la liberté, ou, si l’on aime mieux, du libéralisme moderne, un gouvernement est tenu de s’en accommoder et de vivre avec elles, ce qui n’est pas facile, j’en conviens. Aussi longtemps que cela lui fut possible, la dernière monarchie avait tenté de maîtriser la presse par le régime administratif, le suffrage universel par les candidatures officielles. Quand les circonstances devinrent pressantes et les exigences de l’opinion impérieuses, lorsqu’il fut évident que la tutelle de la presse et du suffrage allait être ravie au pouvoir, il se vit perdu, et la guerre follement déclarée, follement conduite, fut un coup de désespoir. — Cette dynastie a disparu ; mais toute monarchie, quels que soient son origine et son nom, se trouvera fatalement aux prises avec la même difficulté. Il faudra qu’elle vive avec le suffrage universel et la liberté de la presse, ou qu’elle périsse par eux. Or je ne comprends guère qu’une monarchie, c’est-à-dire une personnalité, puisse subsister moralement au-delà de quelques années (la lune de miel des dynasties), qu’elle puisse garder ce qui lui est nécessaire de son prestige aux yeux du pays sous ce double assaut, l’un quotidien, celui de la presse opposante à tous les degrés, de la discussion perpétuelle, de la malveillance systématique et du dénigrement passionné, — l’autre périodique, celui du suffrage universel, destiné par sa mobilité même à se tourner tôt ou tard contre un pouvoir qui, à tous les autres griefs relevés amèrement par les partis, aura joint le plus impardonnable grief, celui d’avoir duré longtemps. La stabilité d’une monarchie paraît chose incompatible avec ces prodigieuses fluctuations de l’opinion devenue souveraine et irresponsable. Que fera-t-on pour parer à ce péril certain ? Proposera-t-on de restreindre le suffrage universel ? Plusieurs y pensent ; qui osera le faire ? À une pareille tentative, la république de 1849 a succombé. Prétendra-t-on le diriger ? On re-