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persuadé sans peine au pays, seul juge après tout et seul maître, qu’elle était visiblement dans l’ordre de ses intérêts, de ses convenances, au lendemain des grandes catastrophes, et quand l’accord semblait impossible sous un autre nom que celui-là. Elle se fût acclimatée parmi nous avec moins de résistance qu’on ne le croit, pourvu qu’elle nous eût offert une tolérance réciproque entre les souvenirs qui nous divisent, un respect mutuel entre tous les citoyens de bonne volonté.

Parmi toutes les institutions, n’était-ce pas la plus large dans le sein de laquelle tous les partis auraient honorablement abdiqué, où se seraient réconciliées sans humiliation les dissensions du passé, toutes celles du moins qui n’étaient que des manières différentes d’aimer la France ? Non, ce n’étaient pas seulement les républicains d’origine, de doctrine ou de sentiment qui devaient trouver là le refuge et la consolation de leurs épreuves ; c’étaient aussi les partisans du principe monarchique, fatigués de ces espoirs sans issue et de ces recommencemens sans fin, — sauf peut-être la portion exaltée du parti légitimiste, celle qui élève la dynastie au-dessus de la souveraineté nationale, provoquant et préparant ainsi d’autres exagérations en sens contraire. C’était surtout cette multitude très considérable et très digne de respect, quoi qu’on en dise, des hommes d’ordre et de travail qui soutenaient le dernier gouvernement par cette unique raison qu’il était un gouvernement, et qu’il en faut un au commerce et à l’industrie. À côté, mais en dehors d’eux, s’était formé un autre groupe fort nombreux dans ces dernières années, celui des conservateurs libéraux qui reléguaient au second plan la question de la forme du gouvernement, uniquement appliqués à la réforme de ce qui existait, attentifs à cette parole de bon conseil d’un philosophe célèbre : « qu’il y a toujours profit à faire l’économie d’une révolution. » Ceux qui, à tort ou à raison, avaient conçu cet espoir, croyant à la loyauté des intentions et à la bonne volonté des hommes de qui il eût dépendu de fonder l’empire libéral, étrangers d’ailleurs au conseil et à l’action, et par conséquent à toute responsabilité dans l’origine de ce pouvoir et dans la politique des désastres qui en a marqué le terme, ceux-là avaient bien le droit de répudier une connivence même de désir dans des projets de restauration qui ne seraient plus aujourd’hui que de coupables intrigues. Enfin les sectes extrêmes elles-mêmes, les socialistes, je parle de ceux qui sont sincères et qui ne font pas de leur doctrine la parure et le prétexte du désordre, auraient trouvé dans un gouvernement de libre discussion et de progrès ouvert des conditions favorables à leur propagande pacifique, la seule sur laquelle ils aient le droit de compter. Dans cette énumération des groupes divers de l’opinion publique, n’ai-je pas compris à peu près tout le monde ? La