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« Le ciel s’était éclairci depuis la veille ; mais, de Kœnigshofen, il s’élevait une colonne de feu et d’épaisse fumée, un violent incendie y avait éclaté. Sur les remparts comme sur les ouvrages des assiégeans roulaient les nuages blanchâtres des batteries avec un bruit de tonnerre. À l’heure dite, l’officier prussien qui devait nous servir de parlementaire arriva avec son trompette. Nous le suivîmes d’abord en voiture, puis à pied sur la route qui, par Kœnigshofen, conduit à la porte nationale. Quand nous fûmes près de la place, les batteries se turent, et un parlementaire français, montant un beau cheval arabe, vint à notre rencontre sur le glacis. Les papiers échangés entre les officiers, on nous fit un chemin par-dessus un parapet en terre afin que notre voiture pût passer, les portes étaient ouvertes. Quelle entrée au milieu de toutes ces terreurs !

Un monsieur vêtu de noir vint à nous ; tout le conseil municipal en habit noir, le maire et l’adjoint, portant l’écharpe tricolore, nous attendaient à la porte de Strasbourg. Plus loin, la foule criait : vive la Suisse ! Tous les assistans avaient des larmes dans les yeux ; c’était la première fois, depuis le commencement du siège, depuis les jours et les nuits terribles du bombardement, que quelqu’un du dehors pénétrait dans la pauvre ville, apportant sympathie et secours. Quel cœur n’eût été profondément touché ! C’était autour de nous une affreuse destruction ; le quartier que traversait la rue, en grande partie brûlé, rappelait les ruines de Glaris après la catastrophe. Le maire nous fut une adresse au nom du conseil municipal ; M. Bischoff remercia le fonctionnaire en lui disant que nous n’étions point éloquens, mais qu’à défaut de paroles les faits répondraient pour nous.

Le pont de l’Ill nous mit dans l’intérieur de la place, où la destruction était moindre ; il y avait pourtant des maisons brûlées du haut en bas. Ce qui frappait le plus dans une cité si populeuse, c’étaient les magasins fermés, les fenêtres en partie barricadées, les soupiraux des caves bouchés. Une foule serrée nous attendait au passage ; impossible de nous soustraire aux acclamations. La mairie ayant été fort maltraitée, le conseil municipal siégeait à l’hôtel du Commerce, dans une salle où l’on nous fit entrer. Nous refusâmes les rafraîchissement qu’on nous offrait, il y avait de plus urgente besogne à faire. M. Bischoff exposa nettement notre mission ; il demanda qu’on dressât au plus tôt un rôle des personnes qui pourraient user de la permission de sortie accordée par les deux commandans militaires. Nous ne pouvions fixer de chiffre ; mais il importait avant tout de constater les cas où la sortie était nécessaire. Les autorités communales devaient donc, avec une discrétion prudente, préparer des listes où les femmes, les enfans, les vieillards, les malades auraient naturellement la priorité. Tout cela décidé, nous fîmes notre visite au général Uhrich, qui s’était fait : disposer un cabinet de travail et une chambre à coucher au rez-de-chaussée d’un hôtel assez maltraité