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rendre ? Ces questions nous troublaient ; mais il n’y avait pas de temps à perdre. Pour arriver devant la forteresse, il fallut quitter le chemin de fer badois à Dinglingen, où une voiture attendait la députation (9 septembre) avec deux ordonnances à cheval, qui devaient lui servir d’escorte. Elle passa le Rhin sur le pont volant entre Ichenheim et Plotzheim, et entra bientôt dans l’armée assiégeante. On voyait déjà la flèche de la cathédrale ; on entendait le bruit du canon. Il pleuvait, et il y avait de l’orage dans l’air. Vers le soir seulement, on arriva au quartier-général de la division badoise, à Oberschœffelsheim. Sur la recommandation du commandant, et grâce au bon vouloir du maire, nous pûmes trouver, non sans peine, avec de l’argent et de bonnes paroles, une petite place chez un Israélite, habitant l’endroit. Plus tard, nous fûmes reçus chez un notaire, qui hébergeait déjà un général ; il n’avait pas de lit à nous offrir ; mais nous avions apporté nos couvertures. L’endroit fut aussitôt désigné comme le quartier-général des commissaires internationaux. Le lendemain, 10 septembre, nous étions reçus à Mundelsheim par le général de Werder. »

Cet officier, un petit homme brusque, brutal même, et qui avait eu le triste courage de résister aux sollicitations du digne et malheureux évêque de Strasbourg, finit par s’amadouer avec nos Suisses, et, après leur avoir opposé toute sorte de bonnes raisons militaires, leur dit : « Faites ce que vous pourrez. » Sur quoi, il les renvoya à son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Lessinzky, homme de bon cœur et de bonne grâce. Le grand-duc de Bade fut aussi fort affable avec les délégués ; mais ce n’était pas tout, il s’agissait d’entrer dans la place, et un parlementaire était allé demander l’autorisation du général Uhrich. Que répondrait ce terrible homme ? Dans le camp allemand, on le représentait comme un farouche grognard incapable d’un mouvement de pitié. Le parlementaire revint ; voici la réponse du général :

« Messieurs, les sentimens qui vous amènent à Strasbourg sont tellement honorables, qu’ils vous assurent à la fois la reconnaissance des habitans et celle des autorités civiles et militaires. Pour ma part, je ne saurais trop vous remercier de la noble initiative que vous avez prise, et je veux, avant votre entrée dans nos murs, vous exprimer toute ma gratitude personnelle. Un parlementaire ira vous recevoir demain, à onze heures du matin, à Eckbolzheim, pour vous accompagner à Strasbourg. »

Après une pareille lettre, il n’y avait plus de doute possible ; le lendemain, bien avant onze heures, les délégués étaient aux avant postes, et d’un petit belvédère regardaient le pays.