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couvent, et dont la fonction consistait à tenir registre pour ainsi dire journalier de tous les grands événemens accomplis dans le monde. Les couvens en réputation attachaient beaucoup d’importance à cette œuvre, qui exigeait des correspondances, des informations, du discernement, et une certaine littérature. Une chronique bien tenue était l’honneur du couvent ; on venait la consulter de fort loin, on la montrait avec orgueil. À Saint-Denis, abbaye royale, la chronique avait le caractère de rédaction officielle de l’histoire nationale. Elle rectifie beaucoup d’inexactitudes de Froissart, dont les attaches anglaises induisent souvent en erreur. N’étant point destinée à la passion chevaleresque ou à l’imagination des châtelaines, elle garde le calme impassible et discret d’un procès-verbal authentique. La chronique de l’impartial et sage Guillaume de Nangis s’identifie avec celle de Saint-Denis jusqu’à l’an 1301. Il était moine de Saint-Denis, et y jouissait d’une grande considération, à ce point que la chronique française de l’abbaye n’a été que la traduction de l’ouvrage de Guillaume pour les trente dernières années du xiiie siècle. L’abbaye attachait presque autant d’importance à la chronique latine de G. de Nangis qu’aux grandes chroniques françaises elles-mêmes ; elle commit des continuateurs à la chronique de Nangis, comme elle en commettait à la chronique française, s’assurant ainsi la possession d’un corps d’annales en latin, faisant pendant aux annales françaises, pour la plus grande gloire du couvent. De là nous viennent les continuateurs de Nangis, entre lesquels il ne faut pas confondre les deux premiers, qui ont poussé jusqu’à l’an 1340, avec un troisième et dernier continuateur, qui ne provient pas de Saint-Denis, et qui a composé l’histoire développée du temps écoulé de 1340 à 1368, portant dans son livre la passion d’un moine défroqué, d’un Jacques véritable. L’auteur de cette dernière continuation est probablement Jean de Venette, carme de la place Maubert, qui a pris parti dans les agitations contemporaines, a écrit un pamphlet curieux contre les nobles et le pouvoir royal, s’est rendu l’interprète audacieux de la révolte populaire, et auquel les historiens de nos jours ont donné quelquefois trop de confiance. On n’aurait toutefois qu’un fonds incomplet de connaissances, si l’on ne joignait à ces sources françaises les monumens historiques empruntés aux nations étrangères, tels que les actes de Rymer, l’une des plus utiles publications du dernier siècle, ainsi que les ouvrages également étrangers d’origine, tels que ceux de Walsingham, en Angleterre, et les Storie, composées en italien par deux générations des Villani, par Jean, Mathieu et Philippe, qui, contemporains comme Froissart, sont une autre source précieuse de l’histoire pour le temps des premiers Valois. Leur récit n’a pas la sécheresse des chroniques de couvent ; c’est de l’histoire presque