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Édouard III, lorsque le pape avait espéré terminer amiablement à Avignon cette guerre acharnée que se livraient depuis tant d’années deux peuples et deux races souveraines. Ses passions, toutes vives qu’elles étaient, Jean les avait subordonnées à la politique, témoin ses deux mariages ; mais chez lui le cœur était haut et bien placé. Son affection pour ses proches, qui le porta aux meilleurs mouvemens, notamment dans l’affaire de Robert d’Artois, et ensuite à l’égard des enfans de ce félon, lui fit oublier quelquefois ses intérêts ; Froissart exalte à ce sujet ses bons sentimens. Tel était le prince qui prenait la couronne en 1350, et qui a été dépeint comme un brutal stupide, soldat courageux tout au plus, mais incapable de mener un royaume.

Les difficultés du gouvernement de la France à ce moment étaient immenses en effet. Le roi Jean y pourvut de son mieux. Avec des finances ruinées, il fallait continuer une guerre désastreuse, nécessaire, inévitable, contre un roi riche et puissant. Avec une armée démoralisée, il fallait résister à une invasion qui avait entamé une bonne part du territoire, qui avait entraîné la féodalité de Gascogne, de Bretagne et de Normandie, et qui avait des appuis considérables dans la maison royale elle-même. La lutte avec l’Angleterre était profondément inégale. L’Angleterre avait l’alliance et l’appui des riches communes de Flandre, qui lui fournissaient ces archers, ces fantassins, devenus l’élément principal de la force des armées. Le parlement anglais était libéral de ses subsides, car la guerre enrichissait les Anglais, maîtres de la mer et du négoce, habiles exploitans du pillage régulier des villes françaises et des rançons féodales, possesseurs enfin des ports principaux de l’Océan sur nos côtes. La France, prise de trois côtés par sa redoutable ennemie, n’avait guère pour la défendre qu’un patriotisme désespéré, des armées indisciplinées et des expédiens déplorables en fait de ressources financières. Elle était à l’heure indécise et pénible où la monarchie féodale se transformait en monarchie administrative, à la fois privée de l’énergie de la première, qui était en déclin, et de la régularité de la seconde, qui n’était point encore développée. Et cependant les mœurs de la renaissance avaient déjà prévalu sur les mœurs féodales. Le luxe, les habitudes de mollesse, avaient succédé à la sobriété, à la sévérité des mœurs de la société féodale, et les malheurs publics n’empêchaient dans les villes ni les plaisirs, ni les débordemens. Paris était une ville dissolue où le sentiment des calamités nationales semblait ne pas avoir pénétré. La famille de Philippe le Bel n’avait pas résisté au torrent. Les mœurs privées de Philippe de Valois et de ses fils étaient pourtant irréprochables ; mais leur influence affaiblie était impuissante à contenir le torrent. Les pompes, les jeux et les tournois leur étaient comme imposés