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son temps, ouvrit l’ère néfaste des luttes séculaires de l’Angleterre et de la France.

L’habileté de Philippe-Auguste fut inefficace pour remédier à ces erreurs de son aïeul et de son père. Vainement il saisit avec une merveilleuse promptitude l’occasion que le fils insensé de Henri II, par un forfait abominable, lui fournit (1202) d’exercer envers un feudataire criminel la justice profitable d’un suzerain qui impose le respect, en citant le coupable duc de Normandie devant la cour des pairs pour y rendre compte du meurtre dont il avait souillé sa main, et en confisquant, selon les lois de la féodalité, toutes les seigneuries que Jean possédait sous la mouvance de la couronne française : Philippe-Auguste remit ainsi sous la puissance royale, appuyée d’une forte armée, la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine et une bonne partie du Poitou, et réduisit la maison de Plantagenet à la portion du territoire qu’elle tenait de l’héritage d’Éléonore, et dont un autre des fils de celle-ci, Richard Cœur-de-Lion, légataire de sa mère, faisait hommage à Philippe-Auguste. Le coup avait été rapide et habilement porté par le roi de France, constructeur hardi de la monarchie féodale et de l’unité territoriale du royaume ; mais le mal était trop profond pour que le remède opérât radicalement. La Normandie demeurait acquise à la France ; mais la puissante et habile maison angevine n’en usa pas moins tous les efforts des héritiers de Philippe-Auguste : ses alliances multipliées avec nos races féodales, les qualités supérieures de quelques-uns de ses princes, et les ressources immenses que l’Angleterre mit à sa disposition ont retenu jusqu’au XVe siècle la moitié de nos provinces sous l’influence et la loi des Plantagenets, et menacé la France d’être réduite à l’état d’annexe de la monarchie britannique[1]. À la première race des Valois était échu le malheureux sort de subir ces périls, qui n’étaient pas complètement son ouvrage, mais dont elle a eu le mérite de triompher par la persistance et la bonne conduite de plusieurs de ses rois.

La maison de Plantagenet sentit bien, après le coup d’état de Philippe-Auguste, qu’il n’y avait plus rien à espérer de la maison de France ravisée, à propos de la Normandie et de l’Anjou. Henri III fut obligé par saint Louis, continuateur de la saine politique de son aïeul, de souscrire au traité de 1259, par lequel le monarque anglais renonçait à toute revendication des duchés et comtés confisqués sur Jean sans Terre. Le fils d’Henri III, Édouard Ier, parut

  1. Quelques historiens modernes semblent regretter que la fortune de la France n’ait point tourné à l’avantage d’Édouard III, de préférence à Philippe VI ou à Jean Ier. M. Macaulay a plus sainement apprécié que des Français le véritable intérêt des deux peuples dans ce conflit mémorable d’où sont sorties on définitive la liberté anglaise et la nationalité française.