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tiale met chaque jour à notre disposition, et à l’aide de celles que nos archives recèlent encore en grand nombre. Nous en avons un exemple remarquable dans l’histoire du château de Saint-Sauveur de M. Léopold Delisle.

Les fautes commises dans la direction politique des états sont quelquefois irréparables. C’est à l’imprévoyance des premiers Capétiens que remontent les calamités de la France au xive siècle. Les défaillances de la dynastie carlovingienne en face de l’invasion normande avaient été pour beaucoup dans la chute de la seconde race et dans l’élévation de la troisième, dont les aïeux avaient défendu vaillamment le sol français contre les hommes du nord ; mais après l’établissement régulier de ces derniers en Normandie, les héritiers de Hugues Capet commirent vis-à-vis des Normands des fautes de conduite qui mirent à son tour la royauté nouvelle en un grave péril. Les ducs de Normandie, devenus rois d’Angleterre depuis la conquête si hardie de Guillaume le Bâtard, en 1066, moins de cent ans après l’élévation du duc de France (987) à la couronne, donnèrent aux arrière-petits-fils de Hugues des feudataires illustres qui rehaussaient la gloire du suzerain, mais qui, vassaux par trop redoutables, devaient rompre par leur puissance le juste équilibre de la hiérarchie féodale. C’est ce que parurent ne pas comprendre les rois de France Philippe Ier et Louis le Gros, en favorisant l’un des fils de Guillaume, Henri Ier, déjà devenu roi d’Angleterre par le partage des domaines paternels, dans l’acquisition irrégulière du duché de Normandie, au détriment de Robert, son frère aîné, à qui cette province devait appartenir, conformément au testament du célèbre conquérant, leur père. Le service de fief et l’hommage que prêtait, comme duc de Normandie, un roi d’Angleterre au roi de France[1] étaient une bien faible compensation de ce danger pour la vanité française, et l’expérience le prouva immédiatement[2], mais trop tard, à la monarchie parisienne. Malheureusement cette première faute fut suivie d’une faute plus lourde du fils de Louis le Gros, Louis le Jeune, qui mit le comble aux imprévoyances capétiennes par la répudiation irréfléchie (1152) d’Éléonore de Guienne, la riche héritière des grands comtes d’Aquitaine et de Poitou, laquelle se remaria deux mois après avec Henri Plantagenet, déjà comte d’Anjou, de Touraine, du Maine, et duc de Normandie, possédant ainsi comme vassal la moitié du royaume, élevé deux ans plus tard sur le trône d’Angleterre, et qui, devenu le plus puissant prince de

  1. Au sacre de Philippe-Auguste, le roi d’Angleterre soutenait la couronne sur la tête du roi : Henrico… coronam super caput regis Franciæ, ex débita subjectione, humiliter portante. Rigord.
  2. Voyez le président Hénault, sur 1100 et 1114, et Secousse, dans les Mémoires de l’académie des Inscriptions. XVII, p. 355 et suiv.