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Avilir les hommes politiques et les empêcher de s’élever est considéré comme une victoire de la liberté. En Amérique au contraire, on croit qu’en donnant à quelques hommes une grande action et une grande responsabilité, on assure le bon gouvernement de l’état. Loin de s’effrayer de l’influence que prennent nécessairement des personnages peu nombreux et placés en évidence, on voit dans cette influence même une garantie politique. Il faut toujours des chefs à la démocratie. Si on ne l’habitue pas à se confier aux plus capables, elle s’abandonne aux plus audacieux et aux plus vils. Ce ne sont, pas les tribuns qui sont à craindre, ce sont les meneurs anonymes.

Au congrès fédéral, les sénateurs sont nommés pour six ans ; c’est trois fois la durée de la chambre des représentans. Les états particuliers ont fait de cet usage un principe. En Pensylvanie par exemple, la chambre des représentans est annuelle, le sénat est élu pour trois ans : il représente la tradition et la durée.

On dira que trois ans et même six ans sont une durée bien courte pour assurer la permanence des institutions. Les Américains l’ont senti ; ils ont remédié à ce défaut en donnant à leur sénat ce qu’il y a au monde de plus conservateur et de plus résistant : l’esprit de corps. Le sénat de l’Union par exemple se renouvelle par tiers tous les deux ans. Cela fait 24 ou 25 membres à nommer dans autant d’états différens. L’expérience a prouvé que la plupart du temps la moitié au moins des sénateurs sortans sont réélus. Dans un corps composé de 74 personnes, il entre donc tous les deux ans 10 ou 12 membres nouveaux. Quel que soit leur talent ou leur caractère, il est visible qu’ils ne peuvent altérer que très faiblement l’esprit du corps. Le sénat est donc, comme nos académies, comme notre cour de cassation, une assemblée perpétuelle, encore bien qu’élective ; il a des précédens, des traditions, une politique. Tout change autour de lui avec une extrême rapidité ; lui seul se modifie de façon insensible en gardant son unité, son caractère et sa physionomie comme un être vivant. C’est là ce qui fait sa force, et c’est pourquoi on a pu l’appeler justement la pierre angulaire de la constitution et le grand régulateur du gouvernement.

Le sénat fédéral est nommé par les législatures locales, à raison de deux sénateurs par chaque état ; c’est une élection à deux degrés. Ce sont les circonstances qui en ont décidé ainsi ; on a voulu maintenir une certaine égalité politique entre chacune des provinces qui forment l’Union. Dans les états particulière, l’élection est directe. Il y a seulement un district électoral trois ou quatre fois plus grand pour un sénateur que pour un représentant. En outre on exige que le sénateur soit domicilié dans le district. Les Américains repoussent le scrutin de liste ; ils croient qu’il n’y a d’élection sincère