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sonnel, vous pouvez vous en assurer. » Et cet officier, qui était un peu honteux de sa besogne, vous rendait le plus souvent votre lettre sans l’avoir lue. Plus tard, ce fut de simples soldats qu’on chargea, sous la direction d’un sous-officier, de ce contrôle. J’ai vu des colonels obligés d’attendre, debout dans le bureau de ces hommes, qu’ils eussent fini de déchiffrer leurs lettres.

Nous recevions quelques journaux belges, l’Indépendance, l’Étoile, qui nous apportaient chaque matin les nouvelles de Tours et ensuite de Bordeaux. Nous nous réunissions tous les jours après le dîner pour les lire, pour causer de la France, et nous fortifier mutuellement en nous communiquant nos impressions sur les événemens. On nous accusa de mauvais desseins, et nous fûmes avertis d’avoir à cesser de nous réunir. Vers la même époque, une main inconnue commença de nous envoyer par l’intermédiaire de la commandanture un journal intitulé le Drapeau, rédigé par M. Granier de Cassagnac père, dans un esprit qu’il serait superflu d’indiquer. Plusieurs d’entre nous ayant cru devoir protester dans des lettres qui furent publiées par l’Indépendance contre l’envoi de cette feuille, le gouvernement prussien parut offensé de cette manifestation, et, pour nous punir, on nous interdit l’Indépendance. À partir de cette époque, nous fûmes réduits aux télégrammes « du roi à la reine, » et aux commentaires haineux des journaux prussiens.

La population ne nous était guère moins hostile : le soir, au sortir de l’école, les enfans venaient souvent, encouragés par les parens, chanter sous nos fenêtres l’hymne patriotique, et dans les rues il n’était pas rare qu’ils nous poursuivissent de leurs clameurs. Dans nos hôtels, les hommes prenaient vis-à-vis de nous des airs provocans, et affectaient de traverser les salles où nous nous réunissions sans se découvrir ; rien de plus comique que ces airs de capitan sur ces faces patibulaires.

J’avais espéré trouver moins d’animosité et surtout plus de largeur dans les idées chez les professeurs de l’université ; je ne tardai pas à connaître combien je m’étais trompé. En Allemagne, les universités sont ce qu’il y a de plus prussien. Ce sont elles qui avaient déjà provoqué en grande partie le mouvement national de 1813 et 1814. En 1870, c’est à Bonn, à Tubingue, que les fourberies diplomatiques de M. de Bismarck ont rencontré les plus chauds partisans. Du fond de ces sanctuaires, il ne s’est pas élevé une voix pour faire entendre au vainqueur des paroles de modération, pour protester au nom de la civilisation contre le bombardement de nos villes et l’incendie de nos villages. Ces hommes de science ont été sans pitié. Au jour de nos plus grandes épreuves, ils ne se