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passer leurs lettres à leurs familles, surtout nous les exhortions à la patience, à la résignation, en leur montrant derrière les débris de l’armée de Sedan la France qui se levait, Metz qui tenait, et l’héroïque Bazaine, qui ne devait jamais capituler ! On nous accusa de les pousser à la révolte, et l’autorisation qu’on nous avait accordée nous fut brusquement retirée. À partir de ce moment, aucun officier ne put pénétrer dans les cantonnemens ; l’autorité fut inflexible. Il y eut mieux : un certain nombre de prêtres, accourus de France pour remplir auprès de leurs compatriotes prisonniers leur saint ministère, se virent refuser la porte avec une impitoyable politesse. On les renvoya au gouverneur, qui les renvoya au ministre de la guerre, à Berlin, lequel en référa au grand-chancelier de la confédération du nord, qui envoya promener ministre, gouverneur et prêtres.

En décembre, il y eut un redoublement de rigueur, motivé, disait-on, par un prétendu projet de rébellion, dont les prisonniers de Coblentz devaient donner le signal, et qui devait éclater le jour de Noël. L’autorité militaire prit partout des précautions inusitées. À Coblentz notamment, la population fut armée ; défense fut faite à tous les officiers français de sortir de chez eux, passé huit heures, sous peine d’être internés dans une des forteresses du nord. Plusieurs, accusés d’avoir tenu des propos scandaleux dans des lieux publics, furent arrêtés, et sans plus ample explication dirigés sur la Silésie ; on fit venir de l’artillerie : les canons d’Ehrenbrestein furent braqués sur le camp. La ville tout entière était en émoi, et dans la campagne on ne dormait plus à dix lieues à la ronde ; tout cela pour un simple propos ! Un des limiers de M. de Bismarck avait entendu dire à un soldat : Nous allons faire un réveillon. Il avait traduit rébellion, et l’alarme avait été donnée. Durant quinze jours, les journaux allemands ne cessèrent de demander qu’on prît des mesures de rigueur et d’accuser le gouvernement de mollesse. Pendant tout le temps de notre captivité, c’est la seule critique qu’ils se soient permise à l’égard des autorités. Les Allemands professent un grand mépris pour la presse française ; ils l’accusent d’ignorance et de légèreté, ils nous plaignent d’être en proie aux petits journaux et à la petite musique, et ils voient dans notre décadence littéraire et artistique la marque de notre décadence morale. Ils ont peut-être raison ; mais, à choisir entre notre décadence et leur servilité, qui ne préférerait encore la première ?

Une des choses qui humiliaient le plus nos soldats, c’était d’être assujettis à l’obéissance envers les soldats allemands. Un article du règlement « pour l’ordre et la discipline dans les camps » portait en toutes lettres : « Tout soldat allemand est le supérieur naturel des soldats français. » On devine à quels abus et souvent à quelles