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un Mayençais et un Hambourgeois, il y a toute la distance qui sépare un Flamand d’un Gascon, les pays de bière des pays de vin.

D’esprit plus vif et d’imagination moins nuageuse que les Prussiens de la vieille Prusse, les Mayençais comprennent notre littérature et la goûtent beaucoup mieux que ne fait le reste de l’Allemagne. À Bonn, j’ai trouvé des savans distingués, des critiques célèbres qui professent une haute admiration pour nos classiques, pour Pascal, pour Bossuet, pour Voltaire ; j’en ai même vu qui tiennent Racine en quelque estime : je n’en ai pas rencontré un seul qui soupçonnât Alfred de Musset ou Victor Hugo. Les Mayençais ont l’oreille et le génie bien plus français, je parle, bien entendu, de ceux qui ont étudié notre langue ailleurs que dans Paul de Kock. Ils ne sont pas nombreux ; mais ils forment une société choisie, où l’on se sentait à l’aise et où l’on ne parlait de la France qu’avec une parfaite convenance.

À la façon dont nous fûmes reçus dans cette ville, encore tout imprégnée des souvenirs du roi Jérôme, et qui a gardé quelque chose de ces habitudes polies et courtoises qui distinguaient la société française du xviiie siècle, j’ai compris pourquoi les Mayençais étaient si impopulaires en Allemagne : on ne les trouve pas assez Germains. Ils ont la curiosité discrète. La ridicule bigarrure de nos costumes les étonna bien un peu à notre arrivée, nos jupes bleues surtout et nos fez rouges les intriguèrent pendant quelques jours ; mais ils ne marquèrent jamais leur étonnement d’une façon gênante, et il y avait dans leur curiosité plus de bienveillance que d’hostilité. Ils ont surtout plus de tact que les hommes du nord. Dans la plupart des villes assignées comme résidence aux prisonniers de Sedan ou de Metz, la population ne manquait jamais, toutes les fois qu’arrivait l’annonce d’un revers pour nos armes, de témoigner sa joie d’une façon bruyante par des chants, des salves d’artillerie, quelques illuminations peu nombreuses cependant, car cela coûte, et l’Allemand est avare, même envers la patrie. À Mayence, la municipalité, d’accord avec l’autorité militaire, nous épargna la plupart de ces manifestations. On tirait les salves de rigueur à la citadelle ; mais la ville restait calme, et nous n’eûmes pas, au moins pendant que j’y fus, à supporter les insolentes bravades et les grossières ironies de la population.

J’étais tout surpris de trouver parmi des Allemands cette délicatesse de sentimens, à laquelle m’avaient peu préparé, je l’avoue, les brutalités dont nous avions été l’objet pendant les premiers jours de notre captivité, et j’en marquai mon étonnement un jour à mon hôte, un brave négociant, tout simple et tout rond, très peu belliqueux par tempérament, et qui ne cessait du matin au soir de se lamenter à cause des maux de la guerre. « Vous autres Français,