Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur pays et traversèrent la Suisse pour rentrer en France. « Prenez garde ! insinuaient les journaux allemands : ces voyageurs compromettent votre neutralité, menacent notre sécurité. — Mais ce sont des malheureux qui n’ont plus rien à faire chez eux : les fabriques sont fermées, leurs patrons les engagent à s’expatrier. Les paysans se sauvent, craignant d’être employés aux travaux d’approche devant Belfort. Si cette émigration vous effraie, établissez un cordon militaire ; l’Alsace est à vous, empêchez les Alsaciens de sortir. — Nullement, c’est vous qui devez les empêcher d’entrer. S’ils passent chez vous, c’est pour aller reprendre du service en France. Il existe à Bâle un bureau qui les reçoit, les défraie, les enrôle, les conduit à travers la Suisse, organise les convois. Ils passent par centaines : ils étaient l’autre jour six cents à Berne. Supprimez le bureau, c’est votre devoir ; arrêtez ce torrent d’hommes. Vous prohibez le passage du matériel de guerre, vous ne devez pas autoriser le passage du personnel. » La Suisse n’attendit pas que ces bonnes raisons lui fussent notifiées officiellement, et empêcha les Alsaciens de voyager chez elle en bande. Seulement, selon son habitude, elle tint la balance égale, et, comme une convention spéciale autorisait les troupes badoises à traverser par chemin de fer le canton de Schaffhouse, avec armes non chargées, sans munitions et la baïonnette au fourreau, la permission fut retirée.

Une autre difficulté fut la proclamation de la république en France. Que devait faire la Suisse ? Elle n’hésita point, elle reconnut du premier jour le nouveau gouvernement. Elle exprima la pensée que l’amour de la liberté et des institutions politiques semblables contribueraient puissamment à resserrer les liens de sympathie qui unissent les deux nations. « Enfin, disaient les conseillers fédéraux, nous avons manifesté l’ardent désir de voir la nouvelle république, sœur de la nôtre, née au milieu de circonstances si douloureuses, réussir à donner à la France une paix honorable et assurer au pays pour longtemps les bienfaits de la liberté. » Un langage si franc devait déplaire aux esprits attardés et timorés, qui ne manquèrent pas de réclamer dans les journaux et à l’assemblée fédérale. Démarche hâtive et imprudente, s’écrient-ils sur tous les tons. Pourquoi ne pas attendre, comme ont fait les puissances, et ne pas consulter les chambres pour obéir à la loi ? Le gouvernement de la défense nationale, issu d’un coup d’état, n’a pas de chances de durée. Qu’importe notre sympathie pour la forme républicaine ? Une politique de sympathie ne vaut rien. À quoi M. Dubs, président de la confédération, répondit à peu près en ces termes : « Sans doute le conseil fédéral n’a pas procédé aussi solennellement ni aussi lentement que le font quelques états, témoin Appenzell, qui n’a pas encore reconnu le gouvernement de Louis-Philippe ; mais il