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L’ALSACE ET LA PRUSSE.

temps en temps aux Alsaciens que l’Allemagne n’entend souffrir aucune résistance : « Une jeune femme de Strasbourg aimait à chanter chez elle, en s’accompagnant sur le piano, la Marseillaise ; l’autorité a mis cette jeune dame en prison : ses exercices musicaux sont donc forcément interrompus. » Ou encore : « On arrêta hier neuf individus ; ces gens dirent qu’ils allaient chercher de l’occupation hors de leur commune : leur physionomie (ihre physionomien) indiquait qu’ils voulaient rejoindre l’armée française. » À un service funèbre célébré à la cathédrale, et où l’élite de la société avait voulu assister, les femmes et les jeunes filles portaient des nœuds tricolores ; le gouvernement fit annoncer le lendemain que depuis quelques jours des femmes à tous les égards méprisables, et qui ne pouvaient associer des sentimens patriotiques à la vie qu’elles menaient ouvertement, osaient porter les couleurs d’une nation en guerre avec la Prusse, mais grande par le malheur ; l’autorité regrettait de pareilles indignités, et comptait sur l’indignation publique pour les faire cesser.

L’installation officielle du gouverneur dans sa capitale eut lieu le 9 octobre. Le matin, M. le comte de Bismarck-Bohlen se rendit à la cathédrale en grand uniforme, suivi de tous les fonctionnaires prussiens. Il n’avait pas voulu demander à l’évêque, dont les sentimens français et la fermeté n’étaient un secret pour personne, un service solennel ; il comptait assister à une des nombreuses messes qui se disent jusqu’à midi dans l’église : aucun prêtre ne se trouva pour le moment à l’autel. Le cortège traversa la grande nef, et se rendit à une paroisse voisine où un Bavarois de l’armée d’occupation dit une messe d’action de grâces. À onze heures, M. le pasteur Fromel, depuis longtemps connu à Strasbourg, aumônier en chef des troupes cantonnées en Alsace, prêcha dans le temple Saint-Thomas sur la résurrection du jeune homme de Naïm. À midi, le gouverneur reçut le conseil municipal ; il annonça que désormais l’œuvre de conciliation allait commencer, que le roi de Prusse en donnait lui-même l’exemple en contribuant pour sa part à guérir les maux faits par la guerre à l’Alsace, qu’il envoyait à la ville, comme signe de sa munificence, une somme de 5 000 thalers (18 750 fr.). Le maire, M. Küss, répondit qu’il n’avait pu prévoir le discours de M. le gouverneur, qu’il lui avait donc été impossible de préparer le sien, que du moins la ville appréciait à sa valeur le présent de sa majesté le roi Guillaume. M. de Bismarck s’entretint ensuite avec quelques fonctionnaires français qu’on avait convoqués en termes vagues sans leur parler de réception officielle, et leur répéta que les charges publiques doivent être remplies sans que les titulaires aient à se préoccuper de l’autorité politique dont ils dépendent.

Cette installation a quelque chose d’indécis ; si la dignité d’un