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L’ALSACE ET LA PRUSSE.

II.

Le 28 septembre, la ville de Strasbourg dut ouvrir ses portes. Quelques jours plus tard, le gouvernement général quittait Haguenau pour s’établir dans la capitale de l’Alsace. Dès cette époque, la haute administration de la province était complètement constituée ; elle est encore aujourd’hui ce qu’elle était alors. Il n’est pas inutile de dire quelques mots des personnes qui la composent : les caractères très variés, les aptitudes différentes des hommes choisis, témoignent de l’intelligence pratique avec laquelle cette administration a été formée. Rien n’y a été donné au hasard ; il ne semble pas qu’on puisse sans péril enlever un seul des rouages de cette machine compliquée. M. le comte de Bismarck-Bohlen, lieutenant-général, gouverneur de l’Alsace et de la Lorraine allemande, est l’âme de cette administration. Sans attribution spéciale, il voit tout, dirige tout : on le trouve sans cesse mêlé aux moindres détails. C’est un gentilhomme d’âge moyen, grand, sec, d’une politesse étudiée. Il est connu dans l’église protestante par ses convictions piétistes, qui lui avaient fait autrefois des amis en Alsace, en particulier au Ban-de-la-Roche. Il croit au rôle mystique de la Prusse, à la sainteté du roi Guillaume, à la décadence byzantine de la France. La Providence tient une place importante dans ses discours, les œuvres pieuses dans ses journées ; il visite les prisonniers, les blessés, il excelle à citer des versets de la Bible ; s’il prend une décision sévère, il ne manque pas de faire remarquer qu’il y est forcé par la faute des coupables. M. de Bismarck-Bohlen représente l’esprit et le génie de la vieille Prusse dans le gouvernement général : avant de remplir les hautes fonctions qu’il exerce en Alsace depuis six mois, il était commandant en chef des gendarmes royaux à Berlin. M. le comte de Luxbourg, chambelland bavarois, président du cercle de la Basse-Franconie, aujourd’hui préfet du Bas-Rhin, a fait en partie ses études au lycée de Versailles. Il a pris dans les fonctions diplomatiques et dans la vie du monde des formes polies que sa jeunesse rend plus séduisantes encore. Son rôle est de recevoir le public et de mettre quelque baume sur les plaies que fait bien malgré elle l’administration allemande dans ces temps douloureux. Il est si aimable, si humain, il déplore si sincèrement les exigences de la conquête, il déclare si haut que sa situation est à tous les égards pénible, que les solliciteurs éconduits gardent toujours de son accueil un souvenir reconnaissant. Ses fonctions le placent dans la dépendance du commissaire civil, et malgré son titre il ne peut donner aux malheureux que des conseils et des paroles de consolation. Au contraire de M. de Bismarck, M. de Luxbourg