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« Il est donc raisonnable de croire que la Suisse est en état de défendre sa neutralité, et l’on peut être certain qu’elle en a la ferme intention. Depuis plus de cinquante années, tous ceux qui sont à la tête des affaires, dans les conseils, dans les camps, dans nos écoles militaires, dans nos fêtes nationales, partout, proclament hautement le principe d’une neutralité défendue au besoin par la population tout entière, et ils sont écoutés.

« Les choses étant telles, je garantis non-seulement la volonté, mais encore la possibilité pour la Suisse de défendre en toute circonstance et contre qui que ce soit cette neutralité, qui ne serait qu’un vain mot, si elle n’était assurée que par les traités[1]. »

Au moment où cette lettre fut écrite, il n’était pas encore question de guerre ; une vingtaine de jours après, toute la Suisse était debout, prête à donner raison à son vieux général. Dès le 16 juillet, le conseil fédéral demandait aux chambres toutes les forces et les ressources, l’armée et l’argent de la nation. Le message de ce conseil disait en substance : Des troupes considérables sont déjà sur pied, et, bien que la fabrication des fusils à répétition ne soit pas avancée, notre infanterie possède une arme qui vaut les meilleures. Il faut nommer un général, M. Dufour, né en 1787, ayant mérité par de longs et glorieux services de prendre ses quartiers d’hiver. De graves questions sont pendantes, entre autres la neutralité d’une partie de la Savoie, et le droit que nous confèrent les traités d’occuper militairement ce pays. La Suisse, malgré la faiblesse numérique de ses milices, peut attendre l’avenir avec confiance, car le sentiment « de ne porter atteinte aux droits de personne, et de se bornera défendre la patrie, lui donnera la force d’empêcher qu’un ennemi ne viole son territoire, ou de faire payer cher cet acte d’agression. »

Ce message eut un plein succès ; le conseil fédéral obtint sur-le-champ de l’unanimité des députés les pouvoirs militaires et le crédit illimité qu’il demandait. Il était temps : le même jour (10 juillet) arriva la notification de M. de Gramont annonçant que la guerre était moralement déclarée. Aussitôt un arrêté du conseil fédéral signifia que « les troupes régulières, ainsi que les volontaires des états belligérant qui tenteraient de pénétrer sur le territoire de la confédération, ou de le traverser en corps ou isolément, seraient au besoin repoussés par la force. » Défense d’exporter des armes ou du matériel de guerre, défense même d’en rassembler trop

  1. Le général ajoutait en post-scriptum, à propos du chemin de fer du Saint-Gothard : « Ce ne serait pas la création d’une voie ferrée au travers de nos Alpes qui pourrait paralyser notre résistance, au contraire ; il ne serait pas difficile de prouver qu’une telle communication intérieure et centrale serait, comme toute bonne route, plus favorable à la défense qu’à l’attaque. »