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litique traverse aujourd’hui une des épreuves les plus graves, les plus délicates qu’elle ait traversées depuis des siècles. L’œuvre de la révolution française est menacée tout autant que l’œuvre traditionnelle de tous ceux qui ont travaillé à faire notre patrie. Elle peut être menacée de bien des manières sans doute ; il y a la manière criante, directe, tyrannique : c’est ce que fait la commune de Paris aujourd’hui. Nous nous sommes demandé plus d’une fois ce qu’il y avait réellement au fond de cette explosion d’anarchie, que la masse du pays comprend fort peu ; il y a un peu de tout. Il y a certainement chez ces chefs d’insurrection qui se figurent qu’ils n’ont qu’à s’appeler le comité de salut public, ou à dater leurs décrets du mois de floréal pour être des personnages révolutionnaires, il y a une parodie à contre-sens de 93. Il y a aussi et surtout ce cosmopolitisme de l’Internationale, qui est peut-être le fait le plus nouveau, le plus significatif dans ce mouvement de Paris, et qui lui donne une portée universelle, socialiste. Il y a enfin cette arrière pensée fédéraliste qui s’est manifestée dès le premier jour par des appels à toutes les communes de France, et qui est assurément tout le contraire du jacobinisme d’autrefois. C’est un tumulte d’élémens discordans et incohérent, qui, si on le remarque bien, se font la guerre dans les actes de cette commune où s’étale une ignorance brouillonne, dans cette confusion de comités, de délégués, qui tous ensemble réalisent le plus prodigieux idéal d’anarchie ; mais le résultat, c’est l’extinction du sentiment supérieur du patriotisme, c’est la dissolution de l’unité morale et politique de la France par la prépondérance du cosmopolitisme international combiné avec le morcellement fédéraliste, par la guerre fomentée partout entre les classes, entre les intérêts. Si l’insurrection de Paris avait pu triompher et s’étendre, c’était le démembrement à l’intérieur, c’était la France atteinte dans sa puissance nationale, dans sa vitalité intime, dans ses espérances d’une régénération prochaine. L’insurrection parisienne a eu du moins cela de bon d’offrir au pays l’image du néant et de la décomposition qui l’attendaient.

C’est là le péril dans toute sa crudité en quelque sorte, dans ce qu’il a d’extrême, de saisissant et d’immédiat. Il pourrait y avoir bien d’autres manières d’atteindre plus indirectement, même involontairement quelquefois, cette unité nationale qui semble livrée aujourd’hui à toutes les influences meurtrières. L’esprit de décomposition est plein de ressources et de subterfuges. On ne veut point par exemple pactiser trop ouvertement avec la commune de Paris, mais en même temps il passe dans la tête de quelques conseillers municipaux récemment élus de se considérer tout à coup comme investis d’un mandat souverain. Avec cet ingénieux et déplorable penchant des Français à sortir de leur rôle et de l’ordre, à éluder la loi, ils se sont dit que, puisqu’ils venaient d’être nommés pour administrer les intérêts locaux, ils étaient aptes à tout, et