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rait pas prise en considération seraient laissés en dehors de l’unité d’action, de l’état, ou n’y seraient maintenus que par la contrainte physique ou morale, ce qui est précisément ce qu’on veut éviter.

Achevons le tableau de l’église de la Rome ancienne par deux traits. Le premier est commun à toutes les religions de l’antiquité, sans excepter la religion juive. Pour enseigner, pour former les esprits et les cœurs, on employait un autre moyen que de nos jours : on symbolisait au lieu de dogmatiser. Au lieu d’exposer et de développer un certain nombre d’articles de foi en précisant la manière dont on doit les entendre, on frappait les sens par les cérémonies du culte. Celles-ci provoquaient la réflexion sur certaines vérités, l’alimentaient sans l’enchaîner. On pouvait être tenu d’assister aux actes liturgiques, mais on restait libre de les interpréter à sa guise. Dans ces conditions-là, l’unité s’établira plus lentement, mais elle aura plus de solidité et de sincérité ; les principes sur lesquels on se trouvera d’accord, au moins généralement, fourniront à la société une base plus sûre que des théories imposées. Le second trait est peut-être particulier à la religion romaine ; je veux parler des lectisternes. C’étaient, disait-on, des banquets offerts aux dieux pour les apaiser dans les circonstances critiques, et à l’occasion desquels des lits couverts de coussins étaient préparés aux augustes convives. En réalité, c’étaient des repas que les Romains s’offraient les uns aux autres pour resserrer l’union nationale et se mettre mieux à même d’affronter les dangers dont ils se sentaient menacés. Toutes les maisons étaient ouvertes, toutes choses étaient mises en commun ; on exerçait l’hospitalité vis-à-vis de tous, de ceux qu’on connaissait et de ceux qu’on ne connaissait pas. On imposait silence aux inimitiés et aux procès ; on enlevait les fers aux captifs : c’était une véritable agape patriotique.

Ainsi tous les citoyens font partie de l’église, tous sont considérés comme ayant part aux révélations de la volonté divine. Les institutions et les actes publics sont ordonnés par le peuple ; mais le peuple n’ordonne rien sans s’être assuré le consentement des immortels. Le sacerdoce universel est la raison d’être du suffrage universel. Les Romains des beaux temps gardaient avec un soin anxieux le traité de paix et d’alliance qu’ils avaient conclu avec le ciel : ils marchaient avec Dieu, Dieu marchait avec eux, et c’est ce qui les rendit vainqueurs du monde.

Tel était le secret de leur force, cherchons maintenant la raison de leur décadence. Nous la trouverons dans le fait, que l’idéal tracé n’a jamais été complètement réalisé. La société romaine avait un vice originel : le sentiment du bien commun ne dominait pas assez celui des intérêts particuliers. La conséquence la plus grave de ce défaut se trouve dans la lutte entre les deux ordres de l’état. On