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de l’assemblée du peuple ; mais les pontifes n’étaient que des commissaires instructeurs : ils examinaient si l’affaire proposée ne présentait pas d’inconvéniens, et le peuple prononçait sur leur rapport.

C’était donc la nation qui possédait l’autorité religieuse suprême ; elle l’exerçait par les mêmes organes à peu près que son pouvoir politique, par les comices curiates, quelquefois même par les comices par tribus, les plus séculiers de tous, enfin par le sénat. Nous voyons ce corps décider ou autoriser la consécration de nouveaux temples ou de nouveaux autels, ordonner les fêtes et les jeux, faire consulter les livres sibyllins ; nous le voyons en un mot veiller à la conservation du culte national, dont les intérêts étaient le premier objet soumis à ses délibérations.

Deux points sont désormais acquis : toutes les institutions, tous les actes publics de la Rome ancienne, sont réglés suivant les prescriptions des immortels. Aussi peut-on dire que cette prétendue république est gouvernée par les dieux, que c’est une théocratie dans le sens étymologique du mot, mais non dans l’acception dénaturée qu’on lui donne aujourd’hui. C’est une vraie théocratie, et non pas une hiérarchie. Le peuple reçoit directement les révélations des dieux ; il est souverain après eux, il reconnaît, interprète, exécute par ses organes leurs volontés. Il se fait seconder par des prêtres qu’il charge de certaines fonctions, mais dans la dépendance desquels il se garde bien de se mettre. Il ne se laisse pas conduire par un clergé ; il n’a pas proprement de caste sacerdotale. Les prêtres se confondent avec le peuple ; ils peuvent être en même temps hommes d’état, hommes de guerre, agriculteurs.

Avec la théocratie, la marche de l’état sera déterminée par les intérêts publics subordonnés à la volonté des dieux. Dans la hiérarchie, à moins d’un développement intellectuel et surtout moral tout à fait exceptionnel, les prêtres auront bien de la peine à ne pas substituer, sans s’en douter le plus souvent, leurs convenances particulières à celles de la nation. Dès lors le peuple n’est plus libre, il est exploité au profit d’une classe ; il ne peut plus être question de république dans le sens vrai du mot, car une fois admis que nous devons nous rendre indépendans des hommes tout en nous soumettant à la divinité, toute vraie république sera une théocratie, toute vraie théocratie une république.

Pour servir de base à un état libre, pour en assurer le salut, il faut que l’église soit démocratique et laïque. Il s’agit de fonder l’unité de conduite sur une unité d’action, non pas imposée, mais trouvée chez ceux qu’on veut unir. Pour atteindre ce but, il faut tenir compte du sentiment de tous, car ceux dont l’opinion ne se-