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passait à se munir pour la lutte, à s’exercer au maniement des armes, à se mettre un peu au courant de la géographie et de la topographie de nos départemens de l’est et des provinces du Rhin, peut-être, avec la bravoure qui n’a jamais cessé de distinguer nos troupes, aurait-on réussi à conjurer les malheurs dont nous subissons aujourd’hui les déplorables conséquences. Cependant, faut-il l’avouer ? les spécialités dont je parle dans le groupe de l’alimentation seront peut-être encore celles qui auront le moins à souffrir de la lutte actuelle.

Dans l’analyse qui nous occupe, il suffit de savoir que le cinquième groupe donnait lieu à une masse d’affaires montant à près de 1,200 millions par an, ou 100 millions par mois. Voilà, si l’on préfère calculer par jour, plus de 3 millions que la capitale dépensait pour se nourrir. C’est un chiffre d’environ 33 pour 100 dans le total des transactions industrielles. L’amoindrissement des affaires ne pouvait égaler ici la réduction constatée pour les autres divisions du travail. C’était absolument impossible, à moins qu’on ne supposât la rigueur d’un long siège. En effet, on demeure toujours assujetti à la commune loi ; l’homme est obligé de manger pour vivre : le bruit du canon, les égaremens de la guerre civile n’y font rien. Le soldat mange dans la tranchée, à deux pas de son camarade mutilé par les éclats d’un obus, comme le fossoyeur dans la terre entrouverte, ou l’infirmier à côté du lit des mourans. Pour la tâche sinistre de la destruction, de même que pour l’œuvre fortifiante de la production, il est d’abord nécessaire de vivre. Devant l’impérieuse condition de la nature humaine, la part du travail dans l’alimentation ne se prêtait pas à des rédactions indéfinies. Il est à remarquer pourtant que là, plus sensiblement qu’ailleurs, le total des affaires peut se grossir, quoique le labeur de l’ouvrier reste le même. Il suffit pour cela d’une hausse dans les prix de certains articles. Rien de plus évident pour les boulangers par exemple : supposez que le pain de 2 kilogrammes augmente de 25 pour 100, vous aurez chez les patrons une plus forte somme de transactions, sans que le revenu du travail en soit accru.

Les oscillations de ce genre n’entrent point dans nos relevés. Une circonstance qui les affecte directement au contraire se rattache à l’énorme émigration qui s’est faite de la capitale. Ce n’est pas tout : une réduction a dû naturellement s’effectuer dans les dépenses qui ne sont pas des dépenses de première nécessité, dans celles qu’on peut appeler luxueuses. Ce sont les gens les plus aisés qui, ayant le plus à perdre, se croyant le plus menacés et possédant du reste le plus de moyens pour changer de lieu, ont été les premiers à s’enfuir. Des chiffres à peu près officiels, rendus publics à Paris il y a