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la balance le poids de nos calamités, afin de déterminer avec justesse l’état présent des choses. Auparavant notons qu’en combinant comme tout à l’heure les relevés de 1860 avec des indications plus neuves, on peut dire que nous devions avoir dans Paris, l’an dernier à pareille époque, un effectif d’environ 600,000 ouvriers. Inutile de faire remarquer qu’on embrasse dans ce calcul les hommes, les femmes et les enfans au-dessous de 16 ans attachés à un labeur industriel. On y comprend encore, comme le faisait du reste l’enquête de 1860, les ouvriers travaillant seuls, sans ouvrières, les sous-entrepreneurs et les façonniers, comme il en existe dans beaucoup de professions, et qu’on a quelquefois, mais à tort, pris les uns et les autres pour des patrons. Il va de soi que les ouvriers des établissemens ou services publics, tels que les abattoirs, les boulangeries des prisons et de l’assistance publique, de la monnaie, du gaz, de la manufacture des tabacs, etc., figurent encore dans l’effectif général. Eh bien ! quoique la réduction n’ait porté qu’exceptionnellement sur ces derniers, nous appliquons la diminution à la phalange considérée dans son ensemble, et nous la supposons tout de suite d’un sixième, autrement dit de 100,000 individus : il en reste encore 500,000 livrés à tous les hasards du déchirement social.

Ici pourrait surgir une objection relative à cet effectif, et au-devant de laquelle nous devons aller. Comment prétendre, dira-t-on peut-être, que tous les travailleurs auraient été occupés, même sans la guerre civile ? L’objection est juste ; on doit accepter en effet quelques réserves, et nous ne les avons point omises à l’occasion, ainsi qu’on le verra dans la suite ; seulement ces réserves se limitent à un bien petit nombre d’applications. Voici pourquoi. En fait d’articles fabriqués à Paris, c’est un fait notoire que le vide est énorme dans tous les magasins de la province et des pays étrangers. J’ai pu le constater par moi-même sur plusieurs points de la France. Des déclarations rendues publiques en font foi partout. Les demandes abondent : ce n’est plus le négociant qui sollicite l’acheteur, c’est bien ce dernier qui assiège la boutique du marchand. Le passé ne répondait-il pas d’avance d’un pareil résultat ? Oui, à toute stagnation un peu violente et un peu prolongée des affaires, on a toujours vu succéder un essor plus ou moins actif. L’année 1849 par exemple avait permis non-seulement de liquider les pertes de l’année précédente, mais encore de recueillir de notables bénéfices. Il en avait été de même après la révolution de 1830. Sans la guerre civile, et sauf quelques exceptions qui seront notées plus loin, la reprise du travail dans les ateliers parisiens, petits et grands, était imminente et forcée.

Au lieu de cet élan si propice qui aurait porté le gain de l’ouvrier à son taux normal le plus élevé, qu’avons-nous eu ? Hélas ! la con-