Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plus haute dignité militaire à deux princes du sang, alors que le véritable auteur des victoires prussiennes, le comte de Moltke, restait tout simplement chef d’état-major général du roi.

Voilà dans quelle mesure l’instruction populaire a contribué à la grandeur de la Prusse. Elle n’a pas élavé le niveau politique et moral de la nation ; appliquée à un peuple naturellement soumis, elle l’a complètement asservi : elle a étendu en même temps toutes les facultés qui le disposaient au rôle que ses chefs lui réservaient. C’est donc comme système de discipline et non comme moyen de civilisation que cette institution a contribué à la force des armées prussiennes. Les troupes les plus solides, celles qui pendant la guerre ont montré les plus grandes qualités militaires, ne sont pas celles des provinces où le peuple est le plus instruit et le plus civilisé. La Silésie, à demi slave, où les mœurs sont plus douces, le parler moins rude, la race poétique et musicale, les duchés de Saxe, où la culture intellectuelle est si avancée, se sont montrés inférieurs aux Poméraniens brutaux et aux Mecklembourgeois, les moins dégrossis de tous les Allemands. C’est que dans ces provinces le culte religieux et monarchique s’est conservé dans toute sa pureté, que rien ne paralyse l’action du clergé et des instituteurs sur ces rudes populations, et que la discipline s’y applique dans toute sa rigueur.

L’Allemagne traverse une de ces périodes d’énergie sociale et de laborieuse obéissance que nous avons connues ; si chez nous ces qualités se sont effacées, la cause en est dans l’abus des révolutions et dans cette logique à outrance que nous poursuivons en toutes choses, et qui fait de notre état politique un vrai paradoxe social. On peut établir l’instruction obligatoire : il suffira pour cela d’une majorité de quelques voix ; mais la nature des choses n’en sera point modifiée. L’instruction par elle-même n’est ni bonne, ni mauvaise ; elle n’a de valeur en réalité que lorsqu’elle est soutenue par un agent moral supérieur. C’est un sens nouveau que l’on dégage ; l’usage qui en sera fait dépendra de la constitution morale de l’individu et des influences qu’il subira. La civilisation descend et ne monte pas. La direction de l’esprit public dans une nation appartient aux classes éclairées : c’est une tutelle pénible, laborieuse et ingrate ; mais elles ne peuvent s’y soustraire, et, qu’elles le veuillent ou non, elles en demeurent responsables devant l’histoire. Si ces classes cherchent leur point d’appui dans les passions nationales, si elles nourrissent le peuple de traditions belliqueuses, elles produisent cette sorte d’asservissement militaire où s’égare actuellement l’Allemagne. Lorsqu’au contraire elles s’efforcent de tourner vers la paix les idées de la nation, encouragent son penchant au