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d’aussi considérables résultats, c’est qu’il était merveilleusement approprié au terrain sur lequel il devait agir et aux mains qui devaient le mettre en œuvre. Le peuple était encore à demi barbare et soumis au rude joug féodal, religieux avec cela, chose de main-morte pour ainsi dire et disciplinable à merci. Il supportait des charges bien autrement pesantes, et celle-là n’était pas de nature à soulever de résistances particulières. Nul ne devait s’en étonner, et tout le monde l’accepta. Les gouvernemens d’ancien régime avaient pour ce genre d’action les mains bien plus libres que les états modernes. L’éducation, a dit un écrivain qui est un maître en fait de discipline religieuse, est une œuvre d’autorité et de respect. Le peuple en Prusse avait le respect, et le gouvernement prit l’autorité. L’instruction obligatoire devint entre ses mains un moyen d’éducation nationale, et cette éducation fut tournée tout entière aux intérêts de l’état.

Tout s’y prêtait, non-seulement l’instinct du peuple, mais la direction générale des esprits, le tempérament et, si, l’on peut ainsi parler, l’organisme même de la nation. La vieille Prusse est luthérienne ; la lecture de la Bible est une nécessité du culte, un acte de foi, une question de salut ; les pasteurs y poussaient, et le peuple la désirait. Il n’est pas douteux que ce fut là le point de départ de l’instruction obligatoire et un puissant levier pour la faire pénétrer et l’établir dans la nation. Lors même qu’il n’y aurait point eu de si grands intérêts, le clergé se serait soumis à cette institution du moment qu’elle serait devenue une des lois du pays. Il est en effet sous la dépendance entière du gouvernement, et ne montre nulle tendance à s’y soustraire. C’est là un des traits du génie national, l’une des marques les plus frappantes de cet esprit de discipline qui est le fondement même de la puissance prussienne. On a souvent répété que la Prusse avait une religion d’état ; il serait plus exact de dire que la religion y est chose d’état. La Prusse compte quelques provinces catholiques ; elles ont accepté sans aucune résistance les règlement appliqués aux provinces protestantes, et le clergé romain s’est prêté à les exécuter avec le même empressement qu’y mettent les pasteurs. Il y a même apporté une sorte d’émulation, et s’est fort bien accommodé de la part d’influence qui lui était ainsi accordée. Là où les catholiques sont en majorité, les évêques et les curés sont les véritables délégataires de l’état en matière d’instruction, et, comme ils dominent ici, ils doivent se subordonner ailleurs à l’autorité des consistoires : il est avec Rome de ces accommodemens dans les pays hérétiques. Les cultes dissidens, et ils sont très nombreux en Prusse, ont subi les mêmes conditions, et se sont développés dans les mêmes limites. La tolé-