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en soit promptement ébranlée, et sans que sa manière de vivre, son régime, son hygiène, doivent être complètement modifiés ? Ce sont les événemens qui nous imposent, non pas comme un devoir, mais comme une nécessité, une transformation totale. À deux pas de l’abîme, chacun sent que nous ne pouvons poursuivre le même chemin ; il nous faut revenir en arrière et prendre une route opposée. Partout en France, la vie, la pensée, l’activité, sont sur le point de manquer ; à force de ne pas servir, tous les organes locaux sont presque frappés de paralysie, et cette insensibilité de tous les membres du corps social menace de s’étendre et de livrer la patrie inerte à tous les ennemis du dehors et du dedans. Or, si l’on veut rétablir la vie, il n’y a pas deux méthodes, il n’y en a qu’une, l’exercice régulier de tous les organes. Qu’il nous en coûte quelques efforts, quelques sensations douloureuses au début, qui en doute ? Il est pénible de secouer une immobilité invétérée. Il serait assurément plus commode d’attendre qu’un sauveur nous tombât des nues, et daignât nous prendre sous sa tutelle, quitte à nous précipiter au bout de quelques années dans un abîme encore plus profond et plus infranchissable. L’on ne peut restaurer les institutions libres sans restituer aux localités leur complète autonomie, sans leur donner des administrations collectives. Il n’y a pour nous aucun doute sur ce point. Depuis longtemps, tous les esprits éclairés de France, et avec une surprenante unanimité tous les publicistes, tous les hommes d’état d’Europe, ont décrit le mal dont nous souffrons et en ont prédit les suites. Notre excessive et inhabile centralisation administrative, voilà le mauvais régime qui nous ronge, et que nous devons guérir avant qu’il devienne irrémédiable. Il n’est pas besoin d’inventer un nouveau système ; il y en a un tout fait, qui fonctionne à côté de nous depuis des siècles, le système anglais ; c’est celui-là que nous voudrions voir établir en France, et cela se pourrait d’autant plus aisément que pendant plusieurs années une organisation locale assez analogue, celle de la constitution de l’an III, a heureusement fonctionné chez nous ; elle y fonctionnerait encore, je le répète, sans l’attentat de Napoléon, qui a voulu balayer de notre sol tous les obstacles au despotisme, et qui n’y a que trop réussi.

Pour justifier les vices les plus nuisibles de notre organisation locale, on ne manque pas d’argument spécieux, auxquels se laissent prendre non-seulement le vulgaire, mais nombre de juristes et de logiciens. Comment admettre, dit-on, que les villes puissent jouir d’une complète autonomie dans la sphère de leurs intérêts municipaux ? Ce serait le gaspillage administratif et la dissolution de notre unité politique. Après la période de vingt ans que nous venons de traverser, l’on est vraiment mal venu à prétendre que la