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jouissent aujourd’hui, croit-on que l’élection ne donnera pas lieu à beaucoup de vexations et de tyrannies ? Il ne se passera pas un an, croyons-nous, sans que la loi récente ne soit dénoncée à la fois comme incomplète et comme excessive. C’est que, pour opérer une décentralisation sérieuse, il faudra des réformes beaucoup plus larges, capables de développer la vie dans nos communes, et de fonder dans notre pays ce qui lui a toujours manqué : le self-government.

Le point de départ de toute décentralisation efficace et régulière, c’est une démarcation très nette entre les attributions dévolues aux autorités locales et celles qui sont retenues par le pouvoir central ou par ses représentans. C’est la première, c’est la grande question à trancher, et c’est la seule que nos assemblées successives aient presque toujours négligée. Il ne peut y avoir cependant beaucoup d’incertitude sur la compétence naturelle et légitime des municipalités. La pratique de tous les peuples libres a depuis longtemps circonscrit le champ d’action des autorités locales en enfermant les communes dans le cercle économique et en leur interdisant toute intervention dans le domaine politique ; mais voyez les contradictions de l’esprit gouvernemental en France : tandis que tous nos gouvernemens s’élèvent en théorie et se précautionnent en réalité contre les manifestations politiques émanant des corps municipaux, que font-ils eux-mêmes ? Dans chaque circonstance grave, ou même quelquefois à propos d’événemens secondaires, ils sollicitent, ils accueillent et ils publient dans le Journal officiel les adresses politiques d’un grand nombre d’assemblées municipales. Cette flagrante violation de toutes nos lois est d’un fâcheux exemple, car, si les conseils communaux ont le droit de faire des proclamations en faveur du gouvernement, on ne peut leur refuser le droit de se prononcer avec la même solennité dans le sens contraire. Ainsi vont les choses en France ; les pouvoirs qui ont la charge de faire observer les lois, et qui ont à cette observation un intérêt permanent, sont les premiers à les violer en vue du plus petit avantage personnel et passager. Les municipalités doivent être complètement exclues de toute participation à la politique, c’est-à-dire à la direction des affaires générales du pays ; mais cela n’est pas assez : leur compétence administrative elle-même doit être déterminée avec une précision qui ne laisse place à aucun arbitraire, et ne permette aucun empiétement. Il ne s’agit pas de tracer des frontières vagues ; l’ordre public exige une démarcation rigoureuse et détaillée. L’exemple de l’Angleterre est, à ce point de vue, utile à suivre : dans aucun pays, pas même chez nous, les lois municipales n’ont été plus nombreuses depuis quarante ans ; mais, au lieu de se contredire et de s’abroger les unes les autres, elles se complètent et