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avait été entourée depuis le début de la campagne. Reprendre coûte que coûte la rive droite de la Loire était une nécessité de sa position. Le généralissime prussien s’y serait obstiné, on peut y compter, et dans cette lutte il aurait usé ses hommes, épuisé ses approvisionnemens. La résistance que lui opposa le général Chanzy huit jours plus tard sur un terrain bien choisi montre que nos jeunes soldats étaient capables de tenir tête à l’ennemi. Comment se fait-il que le général d’Aurelle, après avoir temporisé pendant trois semaines, se soit tout à coup résolu à sortir de ses lignes, et qu’une fois lancé en avant il ait reculé aussitôt, puis qu’il ait tour à tour voulu se replier sur la rive gauche et organiser la défense sur la rive droite ? Cette conduite vacillante dont les suites furent si funestes à nos armes nous semble être l’œuvre de M. Gambetta. Entraîné par les mirages de son imagination et par l’ardeur de son caractère, le jeune dictateur voyait le général Ducrot sur la route d’Orléans avec 150,000 hommes. Il avait honte qu’en de telles circonstances l’armée dont il était le créateur se tînt avec timidité derrière des retranchemens. De là l’ordre prématuré de marcher en avant qui fut l’origine du désastre.

Il y a deux manières de faire la guerre. Certains généraux n’avancent que pas à pas, n’abandonnent rien au hasard, assurent chaque jour leur base d’opération, attendent les fautes de l’ennemi pour en profiter. C’est ainsi qu’agit, entre autres exemples, Moreau dans la campagne de 1795 qui le conduisit jusqu’en Bavière. Cette manœuvre est élémentaire ; elle ne rapporte pas beaucoup de gloire, mais elle ne compromet pas le salut d’une armée, et quelquefois elle sauve le pays. Les grands généraux dédaignent de si petits moyens et préfèrent les grandes combinaisons stratégiques ; ils meuvent leurs troupes avec rapidité sur le vaste échiquier de la guerre. Napoléon Ier s’est illustré par quelques-unes de ces opérations audacieuses qui lui réussirent le plus souvent, mais non pas toujours, comme le démontre la déplorable issue de la campagne de 1812. Quel modèle devaient suivre ceux qui dirigeaient, il y a six mois, les opérations de nos armées ? Nos troupes étaient inexpérimentées, leur organisation était encore imparfaite ; elles allaient au feu avec la défiance instinctive qu’inspiraient des défaites récentes, et elles avaient devant elles des soldats soutenus par l’influence de sentimens exactement contraires. Temporiser était de saison, quel qu’en dût être le résultat pour la capitale assiégée. L’histoire, croyons-nous, attribuera à M. Gambetta et à ceux qui le secondaient les désastres d’Orléans, et elle tiendra compte au général d’Aurelle de Paladines d’avoir évité à l’armée qu’il commandait la honte d’un nouveau Sedan.

H. Blerzy.