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restituer. J’ai dit à votre ami Moynet ce qui était convenu. Il n’a pas été trop surpris ; il a paru seulement chagrin de n’avoir pas reçu vos adieux.

Deux grosses larmes tombèrent des yeux de Francia. — Tranquillisez-vous, reprit Valentin ; il ne vous fait pas de reproche. J’ai tout mis sur mon compte. Je lui ai dit que vous deviez prendre la diligence pour Strasbourg à une heure, et que vous n’aviez pas eu une minute à perdre, pour ne pas manquer la voiture. Il m’a demandé mon nom. Je lui ai dit un nom en l’air, et j’ai promis d’aller lui donner de vos nouvelles. Je l’ai laissé tranquille et joyeux.

Dodore admira Valentin, et ne put s’empêcher de frapper dans ses mains en faisant une pirouette. — Le jeune homme est content ? dit Valentin en clignotant ; à présent, il faut songer à lui donner de l’occupation. Le prince désire qu’on ne le voie pas vaguer aux alentours. Je l’enverrai à un de mes amis, qui a une entreprise de roulage hors Paris. Sait-il écrire ?

— Pas trop, dit Francia.

— Mais il sait lire ?

— Oui, assez bien. C’est moi qui lui ai appris. S’il voulait, il apprendrait tout ! Il n’est pas sot, allez !

— Il fera des commissions, et peu à peu il se mettra aux écritures ; c’est son affaire de s’instruire. Plus on est instruit, plus on gagne. Il sera logé et nourri en attendant qu’il fasse preuve de bonne volonté, et on lui donnera quelque chose pour s’habiller. Voici l’adresse et une lettre pour le patron. Quant à vous, ma chère enfant, vous êtes libre de sortir ; mais, comme vous désirez rester cachée, ma femme vous apportera vos repas, et, si vous vous ennuyez d’être seule, elle viendra tricoter auprès de vous. Elle ne manque pas d’esprit, sa société est agréable. Vous pourrez prendre l’air au jardin le matin de bonne heure, et le soir aussi ; soyez tranquille, vous ne manquerez de rien, et je suis tout à votre service.

Ayant ainsi réglé l’existence des deux enfans confiés à ses soins éclairés, M. Valentin se retira sans dire à Francia, qui n’osa le lui demander, quand elle reverrait le prince. — Eh bien ! te voilà content ? dit-elle à son frère. Tu voulais travailler,… tu vas te faire un état !

— Bien sûr, que je veux travailler ! répondit-il en frappant du pied d’un air résolu. Je suis content de ne rien devoir aux autres. Il y a assez longtemps que ça dure. Alors, je m’en vais, je prends un col blanc pour avoir une tenue présentable, un air comme il faut, et mes souliers neufs, puisqu’il y aura des courses à faire. Quand j’aurai besoin d’autre chose, je viendrai le chercher. Adieu, Fafa ; je te laisse heureuse, j’espère !… D’ailleurs je reviendrai te voir.