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au point de vue non des passions qui nous séparent, mais des principes qui nous unissent.

À cet égard, je rapprocherais volontiers M. Biré de l’habile et éloquent défenseur d’une cause tout opposée, l’auteur du Vandalisme révolutionnaire[1]. M. Eugène Dupois s’est proposé de réfuter quelques-uns des préjugés les plus répandus sur les excès de la révolution ; il ne cherche pas à excuser ou à pallier ces excès, il ne s’attache qu’à faire la part de la vérité, de l’exagération et du mensonge dans les légendes qui en conservent et qui trop souvent en altèrent la mémoire. Il établit par des documens officiels que nul gouvernement n’a eu plus que la république le souci des arts, soit pour veiller sur les chefs-d’œuvre qui les honorent dans le passé, soit pour protéger leurs intérêts dans le présent et en vue de l’avenir. Ceux qui croient aujourd’hui servir une cause révolutionnaire en démolissant la colonne de la place Vendôme pourront apprendre en le lisant que le monument élevé par l’empire à la gloire militaire de la France avec le bronze pris à l’ennemi n’a été que la réalisation d’un décret de la convention nationale, rendu en 1793, sur la proposition de David.

Sous le gouvernement pour lequel plaide M. Biré, il y avait aussi des ultras, non pas républicains, mais royalistes, qui réclamaient avec insistance la suppression de tout emblème auquel s’attachait un souvenir impérial. Leurs plaintes étaient d’autant plus odieuses qu’elles s’associaient à celles d’un vainqueur insolent encore campé sur notre sol. La restauration a bien mérité de la France en résistant, dans la mesure du possible, à ces exigences coalisées. M. Biré rappelle avec à-propos cette ode à la colonne, dans laquelle M. Victor Hugo remercie chaleureusement les Bourbons d’avoir fait passer le patriotisme avant les préoccupations dynastiques.

Louis XVIII n’avait pas seulement défendu la colonne ; il avait sauvé le pont d’Iéna d’une destruction imminente. Est-il vrai qu’il ait menacé Blûcher de se placer sur le pont au moment où serait mis à exécution l’ordre de le faire sauter ? M. Beugnot prétend, dans ses mémoires, que cette menace héroïque est une idée à lui, qu’il aurait après coup prêtée au roi dans un article de journal. M. Biré trouve dans ce récit des contradictions et une confusion de dates qui le lui rendent suspect. On peut en effet avoir des doutes sur un témoignage auquel la vanité semble avoir une certaine part et qui renferme des inexactitudes manifestes. Toutefois ces inexactitudes portent sur quelques-uns des détails, non sur le fond du récit, en faveur duquel, je l’avoue, me paraît être la vraisemblance morale. « On ne nous croit pas faits pour un tel héroïsme, » aurait dit spirituellement Talleyrand à Beugnot, quand celui-ci lui avait fait part de son idée : si Talleyrand n’a pas eu occasion de tenir ce pro-

  1. Le Vandalisme révolutionnaire (un volume de la Bibliothèque d’histoire contemporaine), Germer Baillière, Paris 1868.