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éventra la maison, on creva le toit, on fit crouler les cheminées.

Les prisonniers, traînés à moitié morts jusqu’à Nancy, tombés entre les mains de M. Puggé, restèrent les uns huit, les autres vingt-cinq jours en prison. Les femmes, odieusement battues par ces guerriers chevaleresques, avaient été relâchées presque aussitôt. Les gamins aussi avaient été fort maltraités : les soldats ne leur pardonnaient pas d’avoir crié vive Garibaldi ! Un jeune homme qui accompagnait les Français s’attarda et fut pris. À dix pas, les Prussiens tirèrent et lui cassèrent une jambe, puis l’autre. Jeté sur une charrette, amené à une ambulance, il fut lancé, presque à coups de poing, sur un lit, et la double amputation fut faite aussitôt. Le chirurgien taillait et le juge questionnait. Les sœurs de charité et les blessés se cachaient le visage. Cela n’empêchera pas les autorités prussiennes de nous accuser de violations de la convention internationale. Ce malheureux s’appelait Contat.

L’administration allemande se glorifia de ce crime et proposa Fontenoy en exemple terrible à toute la Lorraine. C’est ainsi que fut traité Fontenoy-sur-Moselle. Même dans les principes si arbitraires du militarisme prussien, il n’y avait pas à ce traitement barbare l’ombre d’un prétexte. Les paysans ignoraient le projet de destruction du pont ; ils n’avaient ni appelé ni reçu les soldats français dans leurs maisons, et ne les avaient point aidés dans leur opération. Les prisonniers et les blessés prussiens, leurs hôtes si incommodes pendant si longtemps, avaient été bien traités. Enfin les soldats n’étaient pas des partisans, et agissaient dans toute la plénitude des droits de la guerre. Ce qu’il faut qu’on sache, c’est que ce fut l’ordre formel du roi Guillaume, du chancelier Bismarck, du stratégiste de Moltke, qui livra l’innocent village à l’incendie ; il faut qu’on sache que le premier décret que Guillaume ait signé comme empereur d’Allemagne, c’est la ruine de cent cinquante familles et une contribution de 10 millions frappée à titre d’amende sur les trois départemens de la Lorraine. Nous avons vu les ruines de Fontenoy trois mois après cette exécution. Rien n’avait été relevé ; toutes ces maisons ne présentaient plus que murailles noircies, monceaux de briques et de plâtras. Sur ces ruines, des pêchers en espaliers, aux rameaux roussis, s’obstinaient à verdir, à pousser des bourgeons, à promettre des fruits, à parler de printemps au milieu de cette désolation. Les habitans étaient revenus ; ils logeaient dans les caves, dans les chambres à four à demi écroulées, parmi ces pans de murs sans appui qu’un coup de vent pouvait jeter sur eux.

Il y a plus de deux cents ans que l’Allemagne conserve les ruines d’Heidelberg, bien que le feu du ciel ait plus fait pour la destruction