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la demande, à ce qu’on prétend, du général Coffinières. On déclara ensuite aux journaux messins, également par l’intermédiaire du maire, que tout article « de nature à agiter la population » entraînerait la suppression du journal ou l’incarcération du rédacteur dans une forteresse. Les généraux de l’armée française étaient aussi inviolables que les autorités prussiennes. Quelques jours après, les journaux obtenaient, par l’établissement d’une censure prussienne, une situation un peu moins périlleuse ; mais au mois de décembre nous les trouvons de nouveau privés de cette impérieuse et salutaire tutelle, réduits à voguer, à leurs risques et périls, entre les deux écueils de la suppression et de l’incarcération. Un journal osa pourtant au mois d’octobre se fonder à Nancy sous d’aussi redoutables auspices, le Nouvelliste ; mais il ne tarda pas d’être victime d’une singulière fantaisie de M. Huguenin. Ce rédacteur-censeur, trop amoureux de sa prose, avait imaginé de contraindre l’unique feuille française de Nancy à reproduire en tête de ses colonnes, à titre de communiqué, les diatribes les plus vertes du Moniteur prussien contre M. Gambatta et le gouvernement de la « démence nationale. » À toutes les objections sur la tyrannie d’un pareil régime, les Allemands, toujours archéologues à contre-temps, n’avaient qu’une réponse : en 1809, Napoléon fit fusiller le libraire Palin de Leipzig. Pendant ce temps, M. de Bismarck reprochait à M. Gambetta de bâillonner « la voix infaillible de la presse libre. » Encore les Lorrains étaient-ils plus heureux que les Normands à Évreux, où le général von Barby menaça de bombarder la ville pour un article du Progrès de l’Eure.

Les docteurs en droit de la préfecture prussienne paraissaient avoir fait une étude particulière des lois répressives promulguées en France contre la presse et contre la librairie. Les imprimeurs furent avertis que « les prescriptions légales concernant la déclaration et le dépôt à la préfecture étaient toujours en vigueur. » Les précautions redoublèrent lorsque partout de petits imprimés, venus on ne sait d’où, répandirent dans les villes et les campagnes les circulaires d’une préfecture française clandestine, les injonctions de M. Gambetta aux mobilisés, les menaces contre les marchands de bois et les bûcherons qui abattraient les arbres vendus par la Prusse dans les forêts de l’état.

Les journaux de l’intérieur de la France étaient proscrits. On pouvait seulement s’abonner par l’intermédiaire de la poste allemande aux journaux étrangers ; mais, quand les sympathies des neutres commencèrent à se manifester en faveur de la France, la presse étrangère elle-même fut interdite.

L’armistice et les élections durent constituer à la presse lorraine