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des étapes, colonel Schartow, enjoignit aux habitans de déposer, dans les trois jours, toutes les armes qu’ils pouvaient avoir en leur possession, « telles que fusils, pistolets, sabres, poignards, cannes à épée, etc. » À Reims, nous avons lu une affiche, signée du général Tümpling, qui prescrivait le dépôt des armes sous peine de mort. Cette « publication » aurait manqué son effet en Lorraine. Le colonel von Schartow trouva quelque chose de plus pratique : une amende de 500 à 2,000 francs contre les réfractaires, la prison contre les insolvables. Les « peines prononcées par les lois spéciales » n’apparaissaient qu’au second plan. Le 4 septembre, on put assister au défilé divertissant des détenteurs d’armes qui se rendaient à la mairie. On vit alors paraître à la lumière du jour des armes invraisemblables, des fusils de munition et des pistolets de cavalerie qui n’avaient pas secoué leur poussière depuis 1815, à côté d’armes de luxe et de cabinet, mousquets damasquinés et zagaies taïtiennes. Les poltrons apportaient tout ce qui avait figure d’arme tranchante, et l’on voyait des fonctionnaires livrer piteusement leur grêle et inoffensive épée ; les habiles s’étaient procuré des fusils rouillés pour pouvoir conserver les lefaucheux dont les listes de permis de chasse auraient pu révéler l’existence. Les armes étaient étiquetées au nom de leurs propriétaires « pour leur être éventuellement rendues ; » mais les officiers prussiens ont fait leur choix parmi les meilleurs revolvers et carabines. Il y avait aussi des patriotes qui cachaient leurs armes dans leurs caves, et qui attendaient l’occasion favorable pour leur faire revoir le jour. Pour sanctionner l’arrêté, il y eut quelques perquisitions. Chez un vieillard impotent on trouva un vieux sabre d’Iéna ; il fut mis en prison et ne s’en tira qu’en payant l’amende. Une vieille femme fut arrêtée pour deux charges de poudre éventée qu’on trouva dans une vieille poudrière ayant appartenu à son défunt mari. Parfois, mais surtout dans les derniers temps, et plutôt, je crois, pour rechercher des émissaires garibaldiens que pour découvrir des armes, des maisons furent cernées, envahies par trente ou quarante soldats, fouillées de fond en comble. Ces perquisitions furent en somme peu nombreuses et n’amenèrent aucun résultat.

Deux mois après le « désarmement » de Nancy, un arrêté du préfet prescrivit également dans les campagnes la remise des armes entre les mains des maires de canton. L’esprit positif des administrateurs allemands, leur connaissance profonde du cœur humain chez les campagnards se révéla encore dans cette disposition qui frappait d’une amende de 50 francs par jour les communes retardataires, et dans cette salutaire admonition qui terminait l’arrêté : « En obéissant dans le délai voulu, les habitans éviteront les ri-