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finies. L’invasion fut pour eux un fléau, non un coup de foudre.

La manière dont les Allemands sont entrés à Nancy, le 12 août 1870, est bien connue ; la conduite de la municipalité a été appréciée ici même avec beaucoup d’équité. Le jour de l’apparition des quatre uhlans légendaires, le maire de Nancy eut une entrevue avec le chef du corps allemand, campé à l’extrémité du faubourg septentrional. On l’avertit qu’une armée nombreuse arrivait, qu’il pouvait épargner à Nancy le passage des troupes en versant 50,000 fr. des deniers de la ville et 300,000 francs des caisses de l’état. Sur l’assurance que celles-ci étaient parties, le commandant prussien déclara se contenter des 50,000 francs, mais imposa en même temps une formidable réquisition de 1,060,000 livres de pain, 134,000 livres d’avoine, 250,000 litres de vin, etc. Où l’on put commencer à se faire une idée de la bonne foi prussienne, c’est lorsque le lendemain, 13 août, malgré cette extorsion d’argent, qualifiée d’ailleurs plus tard de frauduleuse par le prince royal, qui ne fit rien pour l’amender, on vit des bandes de 4, de 8, de 15 cavaliers entrer en ville et la parcourir en tout sens. Beaucoup parmi eux furent reconnus pour avoir été employés dans les usines et les mines du voisinage. Aussi ne demandèrent-ils à personne leur chemin pour chevaucher les uns vers la gare, les autres vers l’arsenal, d’autres vers la citadelle, deux noms qui malheureusement dans le Nancy moderne ne font que rappeler les souvenirs d’un autre âge. La présence de ces cavaliers, insuffisante pour contenir la population, était plus que suffisante pour l’exaspérer ; un instant on put craindre un conflit. Enfin le 14 août, une masse énorme de troupes prussiennes, cavalerie, infanterie, artillerie, en rangs serrés, en ordre parfait, envahit Nancy. Il est impossible de donner un chiffre exact, car, au lieu de demander des billets de logement, les officiers se bornèrent à compter les fenêtres et à pousser leurs hommes dans chaque maison, par bandes de 10, de 20, de 40, leur laissant le soin de se débrouiller avec l’habitant. Il entra ce jour-là dans Nancy peut-être 30,000 hommes ; un nombre égal ou même supérieur couvrait les routes, et occupait les villages des environs. Pour la première fois, on apprit à connaître ces hussards qui portent à leur colback une tête de mort sur des os croisés ; ces cuirassiers, au casque pointu d’acier argenté, aux longues bottes montantes sur des culottes blanches, à la tunique blanche, semblable au justaucorps en buffle du xviiie siècle, sur laquelle se sangle la cuirasse : vivante image des reîtres antiques ; ces agiles uhlans, à la schapska polonaise, à la longue lance, parée des funèbres couleurs de la Prusse, noire et blanche ; cette infanterie sombre et pesante, à qui son casque donne l’air belliqueux, et qui s’enlève d’un