Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lie par les fenêtres ogivales du palais où le bon duc René s’était reposé après la bataille, des femmes en costume du xve siècle regardaient passer le cortège. Tels étaient les spectacles qui, sur les bords de la Moselle et de la Meurthe, en 1866, attiraient les curieux et les dessinateurs.

En exaltant l’unité française, il eût fallu pourtant prévoir les dangers qui pouvaient un jour la menacer. Ce n’était pas tout que de rappeler avec éclat cette date mémorable de 1766, Ces fêtes n’avaient rien à nous révéler, après les guerres de la révolution et de l’empire, sur l’attachement des populations à la France ; mais le devoir du gouvernement était de ne rien négliger pour mettre ces patriotiques contrées à l’abri de nouvelles invasions. Il était beau de célébrer le souvenir de l’union ; il eût été plus beau encore de rendre impossible la séparation. L’empereur Napoléon prit évidemment, comme à l’ordinaire, cette manifestation nationale pour une manifestation dynastique ; mais cette ridicule précaution contre l’académie de Stanislas, cette peur d’entendre une note discordante au milieu du concert d’acclamations, caractérise bien le régime. On se grisait d’applaudissemens, et on restait méfiant. Vainement, dans ce pays, le plus avancé de la France pour l’instruction primaire, on pouvait alors toucher du doigt, au moins dans les campagnes, la faiblesse de l’esprit public ; vainement les élections de 1869, malgré les efforts des électeurs urbains, envoyaient au corps législatif, pour les quatre départemens lorrains, une énorme majorité de candidats officiels, dont deux comptèrent parmi les sept sages. Vainement au plébiscite de 1870 on obtenait en Lorraine 308,000 oui contre 38,000 non, le gouvernement n’osait avoir confiance dans ces populations qui lui en témoignaient une si entière et si imprudente. Il craignait autant d’armer le peuple des frontières que celui de la capitale. La Lorraine, une des plus belliqueuses provinces de France au moyen âge, celle qui, en 1792 et en 1814, avait déployé le plus ardent patriotisme, perdit ces vertus guerrières qui ne se conservent qu’au frottement du fer. Il semblait que l’empire cherchât la sécurité de la dynastie dans l’insécurité des frontières, ou que l’on s’imaginât à Saint-Cloud qu’il suffirait, pour défendre la Lorraine, de ces armures de preux et de ces hallebardes de la ligue que Nancy avait exhibées à l’impératrice dans les cavalcades historiques de 1866. Ici, comme ailleurs, le citoyen devait s’en remettre du soin de sa défense aux 300,000 soldats de profession de l’armée permanente.

Il s’était formé dans certaines villes, sous le nom de compagnies de francs-tireurs, des sociétés de tir fort impropres à devenir des corps militaires, mais fort utiles pour familiariser la jeunesse avec