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vainqueurs jusqu’aux faubourgs de Vienne, l’impératrice des Français faisait avec son fils une pompeuse promenade à travers les villes de Lorraine. Pendant que l’Allemagne fondait son unité au prix de sanglantes convulsions, on célébrait à Thionville, à Lunéville, à Nancy, le centenaire de l’incorporation des états de Stanislas à l’unité française. On se souciait peu alors que Vogel de Falkenstein eût frappé Francfort d’une contribution de 100 millions, ou plutôt on ne se souvenait des victoires et des exactions de l’armée prussienne que pour acclamer avec plus de passion « l’indestructible unité française. » Il y avait comme un défi à la Prusse dans l’empressement qu’on mettait à marier au drapeau tricolore les vieilles couleurs de Lorraine. Le Prussien pouvait bien prendre Hanovre, Cassel, Francfort ; mais il n’aurait pas Thionville, il n’aurait pas Metz, il ne verrait pas Nancy ! Un certain enthousiasme patriotique, un certain entraînement populaire animait ces solennités officielles ; ce fut précisément l’habileté du gouvernement impérial de faire coïncider un voyage dynastique avec la célébration d’un grand anniversaire national, qui empruntait aux circonstances un tel intérêt. Ce canon de réjouissance, auquel faisait écho, à ce moment même, le canon des batailles sur le Mein, imposait silence aux rancunes des partis. L’arbitraire et la maladresse de l’administration ne réussirent même pas à troubler cette fête ; un arrêté du préfet de Nancy qui interdisait une séance de l’académie de Stanislas, dans laquelle MM. Saint-Marc Girardin et de Broglie devaient prendre la parole, froissa quelques esprits indépendans, puis se perdit dans l’enthousiasme général.

Devant les splendides façades toutes pavoisées de l’hôtel de ville et du palais du gouvernement, sur la vaste place royale, ornée de la statue du roi de Pologne, entourée de ses merveilleuses grilles en fer forgé et doré, de ses fontaines mythologiques aux groupes de néréides et de divinités marines, pendant des heures entières, devant l’impératrice et le prince impérial, défilèrent les corporations d’ouvriers et les compagnies de francs-tireurs, les députations de la Lorraine française et de la Lorraine allemande aux pittoresques costumes, les oriflammes et les drapeaux, les bannières aux ornemens symboliques. Un vieux soldat de Domremy portait l’étendard de Jeanne d’Arc, copie traditionnelle de cet étendard qui, au xve siècle, mettait en fuite les envahisseurs. Le lendemain, dans les rues étroites de la partie vieille de Nancy, se déroulait une cavalcade historique où la jeunesse lorraine chevauchait revêtue des armures et brandissant les armes des preux du moyen âge ; les trompettes armoriées retentissaient dans les rues tortueuses où l’on avait apporté le cadavre de Charles le Téméraire, et sur les balcons en sail-