Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlementaires. Bien des préjugés, bien des idées creuses, bien des prétentions hors de saison ou prématurées, les obscurcissent de part et d’autre : les hommes politiques ne sont pas plus exempts que les masses d’inintelligence et d’erreur, et ils ne se tiennent pas mieux en garde contre le parti-pris et l’intolérance. Il serait absurde d’espérer, soit dans le pays, soit chez ses représentans, une renonciation à toute discussion irritante, qui ne serait qu’une renonciation à tout progrès : ce qu’il est raisonnable de souhaiter, c’est que les questions qui nous divisent ne nous fassent pas perdre de vue, dans l’intérêt passionné que nous y apportons, les points qui nous unissent. Or, en dehors de la patrie commune et de l’accord actuel sur la forme du gouvernement, combien de principes sont désormais acquis dans la représentation légale de la nation ! Républicains par conviction ou par nécessité, tous se placent sous la loi souveraine du suffrage universel ; tous veulent, dans leur sincérité et dans leur intégralité, ces « libertés nécessaires » que M. Thiers réclamait de l’empire lui-même ; presque tous acceptent, dans une large mesure et avec les garanties du droit commun, la liberté des opinions sous toutes ses formes et dans toutes ses sphères ; presque tous enfin sont convertis à la décentralisation administrative, et ne repoussent que la décentralisation politique. Que faut-il donc pour pacifier la France ? La liberté et la lumière. Que les monarchistes et les républicains mettent à profit leur union présente pour réaliser toutes les réformes libérales qui sont leur vœu commun, qu’ils rompent résolument avec tous ceux de leurs anciens alliés qui appellent encore la dictature, la compression, les mesures de salut public, qu’ils s’appliquent surtout à dissiper autour d’eux les défiances, les rancunes, les mauvaises passions, filles de l’ignorance et de la sottise, qu’ils éclairent le suffrage universel, au lieu de le tromper et de le corrompre, comme ont fait jusqu’à présent tous ceux qui ont prétendu le diriger, qu’ils l’arrachent aux spectres en lui montrant sans illusion et sans exagération le bien et le mal, les légitimes espérances et les dangers réels, qu’ils sachent, en un mot, le respecter comme leur maître, non comme leur instrument, se plaçant au point de vue de ses intérêts, non des leurs, et mettant leur honneur à le servir avec intelligence et avec loyauté. Ce n’est pas assurément le dernier mot, mais ce doit être aujourd’hui le premier mot de la politique, le commencement d’une œuvre de reconstruction qui fasse revivre en chaque Français une âme française, au lieu de ces âmes républicaines ou monarchiques, urbaines ou rurales, parisiennes ou provinciales, dont la rivalité menace de détruire ce qui subsiste de la France.

Émile Beaussire.