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mis en question dans, le reste de la France. Ceux même dont l’acquiescement n’est que résignation ne supposent pas ailleurs la possibilité d’une résistance à laquelle feraient défaut leur initiative et leur exemple, et, quand ils la voient se produire, ils ne sont pas les derniers à s’en indigner ou à la railler. Tant que la province n’a pas un moyen légal de faire prévaloir sa volonté, elle semble donner raison aux prétentions parisiennes ; mais dès qu’elle peut réagir à l’abri d’une autorité régulière, elle cède volontiers, dans la manifestation de ses sentimens propres, à une pensée de revanche plutôt que d’indépendance.

Ce n’est pas là le moindre péril d’une rivalité permanente entre deux fractions d’un même état dont l’importance relative ne se mesure pas à leur superficie ou au nombre de leurs habitans ; mais une telle rivalité serait toujours funeste, quand il ne s’y mêlerait aucun malentendu. Elle irrite contre le gouvernement une population considérable dont il est forcé de repousser les vœux pour donner satisfaction aux légitimes exigences du reste du pays ; elle alimente l’esprit de révolte et lui donne l’appui moral d’une foule d’honnêtes citoyens dont les bras se refusent à la guerre civile, mais dont les cœurs en partagent plus ou moins les passions. S’il faut beaucoup de prudence pour prévenir une insurrection et les plus cruels sacrifices pour la réprimer, quand elle peut compter sur la participation active d’une assez forte minorité parmi les habitans d’une grande capitale, quel n’est pas le danger quand la majorité elle-même garde avec les insurgés, sinon le lien d’une sympathie directe, du moins celui d’une antipathie commune pour le gouvernement qu’ils combattent ! Aussi, quel que soit l’esprit qui domine à Paris, son hostilité n’est jamais indifférente. Les conservateurs seuls s’en effraient aujourd’hui ; il fut un temps où elle causait les mêmes alarmes aux révolutionnaires. « Tout Paris a été ou témoin inactif ou complice du combat que vous venez de soutenir contre l’immonde royauté, disait Lakanal à la convention après le 13 vendémiaire ; que tout Paris soit désarmé, et que sa sûreté, comme la vôtre, soit confiée à une force armée et composée de volontaires. Tant que Paris sera ce qu’il est, la difficulté insurmontable des approvisionnemens, l’impossibilité morale de faire de bonnes lois au centre d’une immense population en rendra le séjour calamiteux pour la représentation nationale[1]. » Ce sont, presque dans les mêmes termes, les plaintes que font entendre et les remèdes que réclament ceux qui voient aujourd’hui dans Paris, non plus un foyer d’intrigues en faveur de « l’immonde royauté, » mais le réceptacle de toutes les fureurs démagogiques. Suffirait-il, pour ex-

  1. Séance du 15 vendémiaire an III.