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expériences, et qui ne se soutenait qu’à force de mensonges. Paris ne se résignait à la paix qu’en maudissant ceux qui le condamnaient à déposer les armes ; la province s’indignait d’entendre encore des voix officielles parler de guerre à outrance quand toutes ses pensées étaient à la paix. Le désaccord n’était pas moins grand sur les questions politiques. Paris avait gardé sa foi républicaine, affirmée hautement, exclusivement, par des hommes de talent chez qui elle ne pouvait passer que pour le fruit de l’expérience. La même foi, dans les masses, inclinait de plus en plus vers les opinions extrêmes par mauvaise humeur contre les républicains timides qui portaient depuis le 4 septembre la responsabilité de tant de déceptions. La province, ralliée plutôt que convertie à une forme de gouvernement qui la veille encore résumait pour elle tous les désordres et toutes les ruines, n’était que trop excusable de s’en prendre à la république elle-même de la mauvaise administration qu’elle subissait et de cette succession de désastres. Sauf dans quelques grands centres et dans un petit nombre de départemens, les républicains ne gardaient quelque influence que s’ils s’associaient dans une certaine mesure à une réaction dont les promoteurs les plus ardens ne dissimulaient pas leurs sentimens monarchiques. De là ces élections du 8 février qui, en mettant de nouveau aux prises le « parti de l’ordre et le parti de la révolution, » ont vu les républicains modérés rester en minorité à Paris comme en province, et laisser l’avantage ici à une majorité conservatrice qui se fait violence pour continuer l’épreuve de la république, là à une majorité radicale pour qui la république est un dogme indiscutable, et qui n’est pas loin de considérer comme une apostasie toute concession ou tout délai sur les conséquences qu’elle prétend tirer de ce dogme. De là enfin, au lendemain de ces mêmes élections, cet état de guerre où la contradiction des points de vue en est arrivée à un tel point qu’elle n’a plus trouvé son expression exacte dans la division des partis au sein de l’assemblée nouvelle, et que la droite provinciale et la gauche parisienne ont paru aux exagérés des deux côtés également suspectes de complaisance, l’une pour la révolution, l’autre pour la réaction.

Tel a été le progrès de ce fatal antagonisme qui vient d’aboutir à la sécession momentanée de Paris. Parmi les griefs qui ont contribué à l’entretenir, il en est un au moins qu’il nous a été permis d’écarter, comme ne reposant que sur un malentendu : c’est la prétendue domination usurpée par Paris sur la province. Ce qu’il y a de vrai, c’est que Paris s’attribue volontiers une situation privilégiée que la province elle-même lui reconnaît en quelque sorte par ses plaintes. Il en résulte beaucoup d’infatuation d’un côté, et de l’autre une irritation souvent aveugle. Les Parisiens ont peine à se figurer qu’un événement accompli dans leurs murs puisse être re-