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des émeutes parisiennes. Elles attirent seules l’attention par les conséquences qu’elles ont eues, ou qu’elles pouvaient avoir pour la nation tout entière et même pour toute l’Europe. La grandeur du théâtre leur prête d’ailleurs quelque chose de grandiose ou de monstrueux qui saisit fortement les imaginations. La vérité est que toutes les périodes révolutionnaires ont vu se produire des soulèvemens populaires dans toute la France, et que les émeutes provinciales sont loin d’avoir été les plus modérées, les plus pures d’actes sauvages contre les propriétés et les personnes. Dès 1789 commence la guerre aux châteaux : les dévastations, les incendies, les massacres, se multiplient sur tous les points du territoire ; puis vient la terreur, qui n’a pris le caractère d’un système de gouvernement qu’après avoir été, dans les villes de tout ordre et jusque dans les villages, un effet spontané et universel du déchaînement des passions. La « terreur blanche » succède à la « terreur rouge, » dont elle ne se distingue que par la qualité des victimes ; elle a été exclusivement provinciale tant en 1794 qu’en 1815. Plus tard, même dans les temps en apparence les plus calmes, combien de mouvemens séditieux en province, soit pour un motif politique, soit sur une question de travail ou de subsistances, soit par l’effet de causes toutes locales ! Ces mouvemens ont parfois affecté, sur un théâtre dix fois plus restreint, les proportions des plus grandes insurrections de Paris, comme à Lyon en 1831 et en 1834 ; ils ont d’autres fois, par leur explosion simultanée, paru prendre le caractère d’une guerre civile générale, comme dans les départemens du centre et du midi après le coup d’état de 1851. Ici la révolte était légitime dans son principe ; mais elle est loin d’avoir été innocente dans tous ses mobiles et dans tous ses actes, et s’il ne faut pas en grossir les excès, comme ont fait ceux qui ont cherché dans le péril social une excuse à leur défaillance ou une occasion pour leur ambition, il ne faut pas davantage les absoudre ou les atténuer par un sentiment mal entendu de réparation et de justice. La foule est toujours la foule, quelle que soit la passion qui la possède ; elle n’obéit qu’à l’instinct. Ses entraînemens sont souvent généreux ; ses emportemens sont presque toujours féroces. Le courage et le sang-froid ne suffisent pas pour la contenir ; l’expérience et l’habileté du dompteur seraient nécessaires. Il faut plaindre plutôt qu’accuser ceux qui assistent à ses fureurs sans réussir à les apaiser ; il faut la plaindre elle-même. Les plus coupables sont ceux qui l’ont soulevée dans un intérêt personnel ou de parti. Cessons donc d’opposer la sagesse de la province au délire de Paris, les mœurs paisibles des campagnes aux passions effrénées des villes. Dans toutes les masses humaines, les mêmes conséquences naissent des mêmes principes. Si l’on doit faire des différences, ce n’est