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contraires, s’insurgent à leur tour ; c’est la jacquerie. La fureur qui s’y déchaîne au sein des masses rurales en vient à de tels excès qu’une réaction se produit dans les villes, et qu’à Paris même, à Paris surtout, un parti de plus en plus nombreux se prononce hautement pour le prompt et complet rétablissement du pouvoir royal. Les guerres civiles des siècles suivans ne mettent pas davantage aux prises Paris et la province. Paris se partage, comme le reste de la France, entre des factions rivales. Il est tour à tour la proie des Armagnacs et des Bourguignons. Il est la capitale de la ligue, tandis que le royaume n’a plus de capitale ; mais il n’a pas un rôle à part parmi tant de villes et de provinces en état de rébellion. S’il manifeste une tendance particulière, c’est moins l’esprit de révolte qu’un retour de plus en plus décidé aux sentimens tempérés que représentent, durant les guerres de religion, ceux qu’on appelle les « politiques » et dont la Satire Ménippée est l’expression la plus brillante, la plus française, la plus parisienne. La fronde est la seule de ces guerres de partis dont l’initiative appartienne à Paris : le moins contestable des travers parisiens lui a emprunté son nom ; mais quand la fronde eut réduit la cour à chercher un refuge en province, elle ne vit pas s’élever contre elle un esprit qu’on puisse appeler provincial. Il n’y avait que des nuances entre les sentimens qui animaient les diverses parties du royaume. Mazarin n’était pas plus goûté en province qu’à Paris, et Paris n’avait pas moins à cœur que la province de repousser toute confusion entre la cause d’un ministre détesté et les droits universellement respectés de la monarchie elle-même.

Si l’opposition est ancienne entre la province et Paris, elle n’a été longtemps qu’un antagonisme d’amour-propre. Sous l’ancien régime, comme de nos jours, une idée de ridicule s’attachait au nom de provincial dans l’esprit de beaucoup de Parisiens : il signifiait ou l’attachement obstiné à des usages grossiers et hors de mode, ou de gauches efforts pour se rapprocher d’un type de bon goût et d’élégance dont la capitale seule offrait le modèle. De son côté, la province n’était pas sans de justes sujets de railleries sur la présomption, la légèreté, l’ignorance des Parisiens, et sans des griefs plus sérieux sur leur corruption et leurs mauvaises mœurs. Elle acceptait toutefois, bon gré, mal gré, une suprématie dont l’affectation seule lui paraissait blessante, et qui ne s’imposait d’ailleurs que par la puissance de l’exemple. Elle ne fit montre d’indépendance que lorsque cette suprématie, toute morale, sembla se doubler d’une sorte de domination politique. Combien de fois, depuis quatre-vingts ans, n’a-t-on pas accusé Paris de disposer de la France sans sa participation et sans son aveu ! Le reproche est-il fondé ? Paris, comme l’affirmait récemment M. Thiers avec sa haute