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de grands partis sont indispensables à la marche régulière du régime parlementaire. Quand ils font défaut, le gouvernement, n’ayant pas de majorité fixe sur laquelle il peut s’appuyer, flotte au hasard, sans force et sans consistance, quelle que soit d’ailleurs la valeur des hommes qui exercent le pouvoir. L’esprit de parti n’est dangereux que lorsque le débat porte sur les bases mêmes des institutions politiques ou des lois sociales. Dans ce cas, dès qu’il se déchaîne avec quelque violence, il compromet la liberté, car les hommes veulent avant tout la sécurité et l’ordre, et ils y sacrifieront la liberté, si celle-ci semble mettre ces biens en péril. Depuis longtemps, en Angleterre, les partis, quoique très nettement séparés, ont pourtant une région commune où ils s’accordent. Ils poursuivent leurs vues avec la plus grande ardeur ; mais ces vues ne les divisent pas assez pour qu’ils sacrifient la patrie à la réalisation de leur programme. En France, au temps de la révolution (et par un excès de malheur aujourd’hui encore), en Amérique lors de la lutte entre le nord et le sud, il en était autrement. Les partis combattaient chacun pour une cause qui leur était plus chère que le bien du pays. Pour la faire triompher, ils ne reculaient ni devant la guerre civile, ni devant l’appel à l’étranger. Afin de sauver l’esclavage, les gens du sud étaient prêts à couper en deux la grande république américaine, de même que, pour maintenir l’ancien régime, les Vendéens appelaient les Anglais, et, pour établir je ne sais quel régime communal ou communiste, les fédérés de Paris n’ont pas craint d’engager avec la nation une lutte fratricide en présence de l’ennemi campé aux portes de la capitale. Le bonheur de l’Angleterre actuellement, c’est que tout le monde accepte le régime établi et que nul, sauf en Irlande, ne voudrait sacrifier l’intérêt national à la réalisation de ses vues particulières. L’Italie a le même avantage : il suffit donc qu’un air un peu plus vif souffle dans ses voiles pour qu’elle s’élève à ce degré de prospérité et de bonheur que l’Europe entière désire lui voir atteindre.

Émile de Layeleye.