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direction qu’il doit suivre ? L’initiative individuelle étant énervée dans le domaine religieux, comment ne le serait-elle pas aussi dans l’ordre politique ? Quiconque abdique entre les mains d’une autorité infaillible pour les choses de l’âme agira de même pour ses intérêts temporels[1]. L’asservissement du fidèle prépare mal le citoyen à l’exercice de la liberté. En Angleterre, en Amérique surtout, l’individu est appelé à tout discuter et à se faire sa destinée. Il ne doit pas obéissance à un prêtre qui pense et décide pour lui. L’affranchissement religieux a préparé l’affranchissement politique. C’est une tradition qui date du xvie siècle et qui manque à l’Italie comme à l’Espagne.

Faudrait-il donc désespérer de l’avenir ? En aucune façon. Que l’Italie songe à tout ce qu’elle a su accomplir depuis dix ans malgré la marche encore imparfaite du régime parlementaire, et elle se montrera moins sévère envers elle-même. Elle a fondé sa nationalité, elle s’est faite grande puissance, ce qui a coûté à la France, à l’Angleterre, à l’Espagne, des siècles d’efforts et de luttes. Elle a ouvert, développé ses principales sources de richesse ; elle a répandu les lumières, purifié les mœurs, retrempé le caractère national. La fortune, il est vrai, l’a comblée de ses faveurs ; mais elle n’a manqué ni de prudence, ni de sagesse. Ce qu’il faut maintenant, c’est tirer le public de son indifférence en matière politique, en lui montrant la relation intime qui existe entre les destin ’es de l’état et le sort des particuliers. Il y a donc une éducation politique à faire, et elle se fera par la diffusion plus grande des lumières et par le réveil de l’initiative individuelle[2].

Notons encore une fois en terminant l’enseignement que la théorie constitutionnelle peut tirer de l’expérience faite en Italie. Au navire à voiles il faut un vent constant qui le soutienne, sinon il ballotte à droite et à gauche, et « fatigue » beaucoup. De même

  1. Ampère raconte à ce sujet une anecdote caractéristique qu’il tenait de Bunsen. Bunsen, se promenant au Forum, aperçoit les lueurs d’un incendie. Il court, il appelle, il crie au feu. Les Romains le regardent étonnés et lui demandent si c’est sa maison qui brûle. Il répond que non, mais insiste pour qu’on apporte du secours. — Cela ne nous regarde pas, réplique-t-on, tocca à governo, c’est l’affaire du gouvernement.
  2. Il est encore une réforme que nous croyons utile à l’Italie, indispensable à la France, c’est de réduire le nombre des membres de la chambre des députés. En France, on croit que la démocratie exige une assemblée nombreuse ; c’est le contraire qui est vrai. Plus une assemblée est nombreuse, moins la raison et plus la passion y exerce l’empire. Or le gouvernement démocratique est celui qui a le plus besoin de sagesse, de prudence et de raison, car c’est de tous le plus difficile. Il faut voir les précautions rigoureuses prises aux États-Unis pour que la chambre des représentans ne compte pas plus de 350 membres : justesse de vues et prévoyance qu’on ne saurait trop admirer, exemple qu’on ne saurait trop suivre.