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risme. Voici ce que cela signifie. La péninsule italique est habitée par des populations plus semblables entre elles que celles d’aucun autre pays de l’Europe, sans en excepter même l’Espagne. Néanmoins les différences géographiques, la diversité des coutumes, des traditions historiques, des intérêts locaux qui existaient dans les états dont s’est formée l’unité italienne, n’ont pu disparaître du jour où celle-ci a été proclamée. L’unité a été accueillie par tous et avec enthousiasme ; elle était nécessaire pour expulser l’étranger, et nul ne voudrait restaurer les anciennes divisions ; mais des diversités qui sont le résultat des siècles, et qui tiennent au fond même de la vie locale, continuent de subsister malgré les lois et malgré la volonté des habitans eux-mêmes. La raison en est simple : nul ne peut changer en un jour ses instincts traditionnels, c’est-à-dire sa nature même, et, à vrai dire, cela n’est pas désirable. Cette uniformité, qui déracine les traditions provinciales, qui extirpe les autonomies locales, qui sacrifie le patriotisme régional au profit d’un patriotisme général, affaiblit un peuple plus qu’elle ne le fortifie. Il est, je crois, démontré aujourd’hui que, si la France avait pu conserver ses états provinciaux en les réformant d’après les principes modernes, la liberté eût eu dans ce pays des racines plus fortes, et le despotisme y aurait rencontré plus de résistances. Le régionalisme, qui, comme en Italie, n’est hostile ni à l’unité nationale, ni aux idées modernes, est un bien plutôt qu’un mal, et, loin de vouloir l’anéantir, il faudrait savoir en tirer profit. Seulement il est certain que dans les conditions actuelles le sentiment régionaliste entrave en Italie la marche régulière du mécanisme parlementaire. Les députés, au lieu de se diviser suivant leurs opinions, se partagent d’après les provinces qu’ils représentent. Le ministère doit compter non avec les partisans ou les adversaires de telle ou telle mesure, mais avec les Siciliens, les Lombards, les Piémontais, les Napolitains, les Vénitiens. Les anciennes divisions territoriales, qui n’ont plus d’existence légale, reparaissent au sein du parlement avec leurs vues particulières, leurs exigences et parfois leurs ressentimens. À un moindre degré, c’est la même chose qu’au sein du Reichsrath autrichien. Le ministère n’a plus en face de lui des partis qu’il peut convaincre et entraîner, il a des envoyés des provinces qui ont leur mot d’ordre, et avec lesquels il faut composer. Les rivalités provinciales, venant se joindre aux rivalités personnelles, arrêtent à chaque instant la marche de l’administration.

L’instabilité et l’impuissance des ministères qui se succèdent ne font qu’empirer la situation financière, et rendent impossible l’application de tout remède énergique. Les besoins croissans du trésor, le déficit annuel à combler, exigent presque chaque année l’é-