Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement ainsi que dans ses livres, semait des idées pour l’avenir, et dont les conceptions sont trop originales pour rentrer exactement dans les cadres établis ; mais en règle générale, dans les partis comme dans les armées, il faut de la subordination, de la discipline, de l’union, de la fidélité au drapeau. Dans les luttes parlementaires comme sur les champs de bataille, le succès est à ce prix. C’est ainsi seulement que le gouvernement constitutionnel peut remplir sa mission, et que la probité politique des députés fait respecter le parlement : voilà ce que l’exemple de l’Italie montre avec la dernière évidence.

En Italie, les crises ministérielles sont incessantes. Comme le remarque très bien M. Jacini, on dirait une fantasmagorie d’hommes à portefeuille, qui entrent et qui sortent, suscités, puis renversés par le jeu protéiforme d’influences personnelles, par la faveur ou l’hostilité sans cesse variables de petites coalitions qui se font ou se défont sans qu’on sache pourquoi, de mouvantes coteries sans cesse en train de se décomposer ou de se recomposer. S’agit-il de constituer un ministère nouveau, les hommes qui doivent y figurer ne seront pas désignés, comme en Angleterre, par les circonstances mêmes et par les votes qui auront amené la chute du cabinet démissionnaire. On ne choisira pas les plus compétens ou ceux qui représentent le mieux l’opinion triomphante ; non, on sera forcé de prendre un tel parce qu’il dispose de dix ou de vingt voix, tel autre parce qu’il entraînera les Vénitiens ou les Siciliens, un troisième parce qu’il représente un intérêt avec lequel il faut compter. De pareilles combinaisons, même quand elles ne réuniraient que des hommes de premier ordre, ne peuvent donner naissance à un gouvernement fort, car il ne trouvera pas d’appui solide dans la chambre, et il n’y aura dans son sein ni unité de vues, ni identité d’origine. Appelez aux affaires des hommes médiocres, mais qui puissent appliquer toutes leurs facultés à l’administration et aux réformes urgentes, et probablement ils feront quelque bien. Mettez à leur place des Pitt et des Richelieu, s’ils doivent s’occuper de satisfaire les ambitions des uns, de désarmer les rancunes des autres, de prévenir une rupture aujourd’hui, de ramener des mécontens demain, et s’ils ne prolongent ainsi une existence sans cesse menacée que par une série de transactions, d’intrigues, de petites habiletés, ces hommes de génie seront réduits à l’impuissance. Dans une pareille situation, le moindre incident produit une crise politique. Un député se plaint que le chef du cabinet ne l’ait pas salué avec la déférence qui lui est due, un second est furieux parce qu’il n’a pas été convié à un dîner ministériel, un troisième n’a pu obtenir un chemin de fer pour le bourg qui l’a élu, un quatrième n’a pu