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pousse les hommes à ces interminables luttes, afin d’augmenter le nombre des damnés, et d’empêcher ou de retarder la reprise de la terre-sainte. Les mauvais anges ont une grande science de l’avenir, parce que, depuis l’origine du monde, ils contemplent les constellations, et connaissent ainsi les causes et les effets des choses ; ils ont une mémoire extraordinaire. Rien n’étant nouveau sous le soleil, ils prévoient l’avenir mieux que les vieillards, bien mieux que n’aurait pu le faire Charlemagne lui-même, qui régna, dit-on, cent vingt-cinq ans. Les anges déchus peuvent de la sorte entraver les opérations même des hommes sages, soit par la persuasion, soit par les tentations, surtout par les consultations que prennent d’eux les magiciens instruits in artibus prohibitis. Il y a chez les Sarrasins un grand nombre de ces artisans de maléfices. Pour délivrer la terre-sainte, il faut donc établir une paix générale, une république de tous chrétiens obéissant à l’église romaine. Le concile convoqué, le roi demandera par la voix du pape que les princes et les prélats décident que nul catholique ne peut désormais faire la guerre à un catholique. Quiconque, malgré cette décision, oserait prendre les armes contre ses frères encourrait par ce seul fait la perte de ses biens, et serait envoyé en terre-sainte pour contribuer à la peupler. En toute cette affaire, on ne devrait néanmoins employer aucune excommunication, de peur d’accroître le chiffre des damnés. Les peines temporelles vaudront mieux que les peines éternelles, car ces peines, bien que moins graves, sont plus redoutées. Ceux qu’on déportera de la sorte en terre-sainte seront établis sur les territoires les plus exposés, et devront être placés dans le combat le plus près possible de l’ennemi.

De toutes les guerres, les plus funestes à l’action commune de la chrétienté sont celles que les cités souveraines de Gênes, de Venise, de Pise, de la Lombardie, de la Toscane, se font entre elles. Le concile y mettra fin par l’établissement d’un tribunal dont les sentences ne pourront être cassées que par le saint-siège. Une autre cause permanente de troubles, c’est la succession à l’empire ; il faut demander dans le concile que le royaume et l’empire d’Allemagne soient confirmés à perpétuité « à un roi de notre temps, et après lui à sa postérité. » On réprimera ainsi la cupidité des électeurs, à qui l’on accordera en compensation quelques concessions sur les choses et les libertés de l’empire. Quant au roi qui deviendra empereur d’Allemagne, il promettra d’envoyer chaque année en terre-sainte, tant qu’il en sera besoin, un grand nombre de combattans bien armés.

Il serait trop coûteux pour l’empereur et les princes de fournir aux combattans les vaisseaux et les vivres nécessaires. Les hospi-