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avait songé, dont on sonda même les dispositions, se dérobèrent à la responsabilité qu’on voulait faire peser sur eux. Peut-être leur parut-il bien grave de tenter « un coup de main à l’espagnole en arrêtant leur supérieur hiérarchique pour se mettre à sa place ; peut-être aussi était-il trop tard lorsqu’on leur fit des ouvertures, et jugèrent-ils le mal sans remède. En tout cas, leur attitude ne permit même pas qu’on leur demandât nettement ce qu’on attendait de leur énergie, et il ne semble point qu’on soit jamais allé avec eux jusqu’à une proposition directe.

Si les Messins me peuvent oublier ce qu’a souffert sous leurs yeux une armée digne d’un meilleur sort, une armée qui, commandée par un autre chef, eût pu les sauver et sauver la France, ils n’oublieront pas non plus la conduite qu’ont tenue les troupes allemandes depuis leur entrée dans le département de la Moselle. Il y a des faits qui caractérisent une guerre. Une foule d’événemens s’effacent de la mémoire des hommes ; ceux-là survivent au contraire et se gravent dans les esprits, parce qu’ils peignent une époque et un peuple. Dans ce nombre compteront certainement les exécutions militaires qu’ont ordonnées les Prussiens sur le sol français en vertu de la loi par laquelle ils interdisent à la population civile de se mêler à la guerre, lui refusent absolument le droit de légitime défense, et, non contens de la traiter avec la dernière rigueur, si elle prend les armes, la rendent responsable de tout acte hostile qui se commet dans son voisinage. D’après ce code nouveau il ne suffit pas que les habitans d’une commune, pour être respectés, s’abstiennent de toute hostilité ; ils deviennent coupables et méritent le châtiment le plus dur, si, même malgré eux, même à leur insu, quelque fait de guerre s’accomplit sur leur territoire. Le village de Peltre en fit la cruelle expérience pendant le siège de Metz. Les assiégés, dans une sortie, l’avaient occupé, puis abandonné ; quand les Prussiens y rentrèrent, ils accusèrent les paysans de s’être entendus avec nos soldats, et décidèrent que le village entier serait brûlé. Deux jours de suite, on mit le feu à toutes les maisons froidement, systématiquement, et on n’en laissa subsister aucune. Un établissement restait, une maison religieuse occupée par vingt-trois sœurs qui y avaient soigné des blessés et des malades prussiens depuis le commencement du siège. On les fit sortir, et sous leurs yeux on alluma l’incendie dans des bâtimens que leur chants avait rendus sacrés. Cette scène ne serait pas complète, si l’on n’ajoutait qu’au moment même où le couvent brûlait un aide-de-camp du prince Frédéric-Charles venait demander six religieuses de Peltre pour donner des soins à ses blessés sur un autre point. Devant leur maison en flammes, les nobles sœurs répondirent simplement : « Nous irons. » Elles partirent sur-le-champ, et les