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effleuré son enceinte, et cependant des factionnaires prussiens montent la garde aux portes de la ville, les troupes prussiennes occupent les vastes casernes du Fort, l’école d’application, l’école régimentaire d’artillerie, la magnifique caserne du génie, le quartier Coislin. Ce simple rapprochement fera comprendre l’inconsolable douleur des habitans de Metz, l’indignation que leur inspire encore aujourd’hui la conduite du maréchal Bazaine. On ne l’accuse pas seulement d’avoir commis des fautes militaires, d’avoir gagné la bataille de Gravelotte sans s’en douter, sans profiter, comme il l’eût pu, de l’avantage qu’il devait à l’élan de ses soldats, d’avoir retenu la garde l’arme au pied pendant toute la bataille de Saint-Privat, et de s’être enfermé de sa personne dans le fort de Plappeville au lieu de marcher à l’ennemi ; on sait de plus que depuis le 18 août il n’a pas tenté une seule fois un effort vigoureux pour sortir de Metz, qu’aucune de ses attaques n’a été poussée à fond.

Que de souffrances avait supportées pendant ce temps la ville de Metz, et que cette noble population méritait peu le sort auquel on la condamnait malgré elle ! Dès le début de la campagne, les jeunes gens s’étaient organisés en corps de volontaires et de francs-tireurs, les hommes mûrs en bataillons de garde nationale. Les femmes de toute condition et de tout âge passaient leurs journées, leurs nuits, à soigner les blessés, qui encombraient tous les établissemens publics, et les maisons particulières, qu’il fallait installer jusque dans des wagons de la compagnie de l’Est sur la Place royale. Après la bataille de Saint-Privat, on en compta pendant quelques jours jusqu’à 22,000 dans l’étroite enceinte de la cité. Le linge, les médicamens, les médecins militaires, faisaient défaut. Les médecins civils, soutenus par le dévoûment et par la charité des particuliers, surtout par le zèle des gardes-malades improvisées, suppléèrent à cette insuffisance avec une admirable énergie. Des maladies contagieuses, la dyssenterie, la pourriture d’hôpital, des affections typhoïdes, la petite vérole, se déclarèrent au milieu de ces masses d’hommes agglomérées sans décourager aucun de ceux qui les soignaient. Des femmes délicates, des jeunes filles, vivaient dans cet air empesté, et ne quittaient leur poste que le jour où le mal les frappait à leur tour. Aussi le nombre des victimes fut-il considérable parmi les habitans. Il y eut des jours où le chiffre des décès s’éleva jusqu’à 40, tandis que dans les temps ordinaires il ne dépasse pas 4 ou 5. La faim à son tour fit sentir ses atteintes ; il y eut là des scènes lamentables, dont les témoins oculaires ne parlent encore qu’avec horreur. On voyait errans par la ville des soldats hâves, les yeux hagards, à la démarche chancelante, qui s’appuyaient le long des maisons pour ne pas tomber, et s’affaissaient tout à coup