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rales ; mais il croit qu’il faut en varier l’application selon les temps, suivre enfin la maxime de Louis XIV : « changer parfois de route, afin de ne jamais changer de but. » Il ne s’agit point ici de faire de l’ordre, comme en 1852, dans une pensée malsaine et intéressée, et de prôner l’autorité à tout propos, surtout quand l’autorité s’était créée toute seule et par la violence. Cela nous a trop mal réussi, et tous nos maux viennent de là ; mais il ne faut pas non plus faire du désordre pour arriver à l’ordre. La route n’y conduit pas, et le mal n’a jamais mené qu’au pire.

Cette assemblée séparée en deux, le chef du pouvoir exécutif gourmandant la chambre et l’obligeant à s’amender en la menaçant de se retirer, tout cela a fait croire aux personnes qui aiment les conflits, et qui devraient pourtant en être fatiguées par le temps qui court, que nous allions avoir une crise. On a parlé de propositions constitutives, et chacun a proposé l’élixir souverain qu’il a dans sa poche pour guérir tous nos maux. Les uns accepteraient volontiers la monarchie, d’autres voudraient qu’on proclamât définitivement la république. Cela, disent-ils, apaiserait par enchantement toutes les querelles et calmerait tous les partis. Heureuse crédulité ! Consacrer la république par un vote solennel de l’assemblée serait faire le contraire de ce que nous voulons. Si la république est aujourd’hui le gouvernement qui nous divise le moins, c’est parce qu’elle est provisoire ; faites-la définitive, elle prend tous les inconvéniens des gouvernemens définitifs. Le salut de notre pays est de n’avoir pas d’intitulé pour l’avenir ; quiconque voudra intituler l’avenir risque de le détruire pour lui et pour les siens.

Beaucoup de personnes qui ont l’oreille ouverte sur les couloirs de l’assemblée nationale croient, trompées par les médisances qui sont naturelles à toutes les coulisses, que la chambre, et la majorité surtout, ne sont pas favorables à M. Thiers. Grave erreur : on cause contre lui ; mais on vote pour lui. Nous ne prétendons pas que le ménage de M. Thiers et de l’assemblée nationale soit un ménage toujours paisible et doux, une idylle pleine de lait et de miel ; c’est un ménage qui n’a pas de divorce possible, et c’est là ce qui en fait la sûreté. L’assemblée murmure contre M. Thiers, mais elle lui obéit ; M. Thiers gronde contre l’assemblée, mais il sait bien que sa vraie puissance et sa vraie force lui viennent d’elle, et il ne veut pas plus se séparer d’elle qu’elle ne veut se séparer de lui. Quiconque ne comprend pas ces agitations d’intérieur, et le peu de fond qu’elles ont, ne comprend rien à l’assemblée. L’inconséquence sauvé tous les soirs le monde, que la logique perd tous les matins. Ce qui fait l’indissolubilité du mariage de M. Thiers et de l’assemblée, c’est que ce mariage a pour principe et pour lien sacré la nécessité patriotique de réorganiser et de sauver la France. C’est là le sacrement de leur union.

F. de Lagenevais.