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meurtri s’épancha dans la musique. Il n’y eut plus dans l’existence de Mlle de Villepreux que les menus événemens de tous les jours et un dévoûment sans bornes, mais intelligent, à toutes les souffrances qu’elle pouvait soulager. Elle y trouvait plus de fatigue que de récompense, mais ne se lassait point. Un soir qu’elle semblait rêveuse et comme accablée au coin du feu, à cette heure douteuse où la clarté pâlit derrière les vitres, M. de Porny s’approcha d’elle, et d’une voix doucement grave : — Un jour votre mère, dont j’entends le pas léger derrière cette porte, n’y sera plus, dit-il ; moi aussi j’aurai disparu. Y avez-vous pensé ? Vous serez seule.

Gilberte releva la tête lentement. — C’est donc votre idée encore, répondit-elle en appuyant sur le mot, que je devrais penser au mariage ?

— Oui, encore. Vous vous apercevrez peut-être un jour que tous les dévoûmens ne remplissent pas le cœur autant qu’une affection.

— Je crois le savoir déjà.

— Eh bien ! alors ?

— Vous qui me connaissez, pensez-vous que ce que vous appelez une affection me suffise ?

— Vous rêverez donc toujours ! s’écria-t-il d’une voix presque triste.

Puis, d’un air gai qui répondait mieux aux habitudes de sa physionomie : — Que de mariages n’ai-je pas vus où l’on négligeait d’inviter l’amour ! reprit-il ; quelquefois même, piqué de cet oubli, il arrivait après.

— Je ne m’y fierai pas, répliqua Gilberte, et je l’ai trop aimé pour m’en passer.

Ce fut la dernière allusion que fit M. de Porny à la solitude dans laquelle Gilberte voulait se renfermer. La douceur même de sa résistance lui en indiquait la fermeté.

Les saisons, dans leur cours tranquille, ramenaient les mêmes occupations. Gilberte n’était plus retournée à Paris. M. de Porny passait une bonne moitié de sa vie à La Marnière, et l’on pouvait prévoir le temps où il y prendrait sa retraite. Une lettre tout à coup tomba dans ce repos comme une pierre dans un lac.

« Peut-être ne pensez-vous plus à moi, ma chère Gilberte ; peut-être même avez-vous oublié jusqu’à mon nom, et cependant du fond de ma détresse je jette un cri vers vous. Tendez-moi la main, venez à mon aide, ou je suis perdu.

« Je ne sais que vous qui puissiez me sauver. Un jour vous m’aviez fait une promesse que je ne méritais pas. Le jour où ma bouche vous l’a demandée a été le seul clair et lumineux de ma vie. Ce mou-